Une histoire de chapeau
Un monsieur qui, à l’égal de celui qui écrivit ces lignes, a vraiment l’esprit du commerce, c’est M. V….. bien connu dans la ville de Ste-Cunégonde [une ville maintenant fusionnée à Montréal]. Ayant acheté dernièrement un superbe panama, dûment payé $20, il le promenait avec joie, recueillant de tous, amis et connaissances, les compliments avec cet orgueil souriant qui fait plaisir à voir.
Il promenait donc l’autre soir son superbe chapeau de $20, lequel était à son crane aussi léger qu’un voile, aussi moelleux qu’un velours. Il rencontra au cours de sa promenade son ami, L. R., qui avait le chef couronné d’un pseudo-panama, $1.50 environ, qui commença par lui déclarer à brûle pourpoint que son chapeau était un infect panier à framboise. Ce dont M. V. fut profondément humilié.
Bref, après cinq minutes de conversation, M. V…. échangeait moyennant $10 en retour son chapeau de $20, pour celui de L. R., lequel, neuf, avait coûté $1.50.
Puis, on entra prendre un verre.
Le bar tender commença par demander à M. V. ce qu’il avait fait de son beau panama. Quand il apprit que M. V. l’avait échangé pour celui de L. R. en donnant $10 en plus, il partit d’un éclat de rire homérique. Et ce qu’il y a de plus extraordinaire dans l’aventure, c’est que M. V. dûment prévenu ne veut rien entendre. Plus triomphant que jamais il promène dans Ste-Cunégonde son faux panama de $1.50 lequel lui en a coûté $30.
Il est convaincu qu’il a sur la tête le plus beau chapeau du pays. Et comme on n’est pas méchant à Ste-Cunégonde, on se contente de rire…
La Patrie, 12 juillet 1904.