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L’écrivain Arthur Buies n’est pas homme à vivre dans le passé

Arthur Buies prenant des notes vers 1890

À son époque, ce chroniqueur devait être pour plusieurs une véritable bouffée d’air frais. Le voici ici impatient.

On ne saurait croire jusqu’où certaines personnes poussent le goût des antiquités. Il suffit qu’une chose soit décrépite, bien salie, bien déchiquetée, bien ratatinée, nauséabonde et informe, mais qu’elle ait cent ans, pour qu’elles la pressent sur leur cœur. C’est là une passion comme une autre, mais, heureusement, la plus ridicule de toutes, car si la passion pour le beau fait faire bien des folies, que doit-on attendre de la passion pour ce qui est laid et vieux par dessus le marché ?

On tombe assez souvent à ce sujet dans une confusion grotesque; on prend aisément pour l’amour de l’antique une monomanie puérile qui s’exerce incessamment sur une foule de petits objets sans importance, qui s’y perd et s’y noie, en laissant de côté les grands traits, les grands souvenirs, les véritables monuments de l’histoire et les leçons qu’ils renferment.

Ceux qui sont atteints de cette maladie risible fouillent avec ardeur des champs de bataille pour y trouver des talons de bottes, et consulteront les mémoires et les récits de toute une génération, feront comparaître devant eux cent vétérans pour savoir si la culotte de Montcalm [le commandant des troupes françaises sur les Plaines d’Abraham le 13 septembre 1759] était en peau de daim ou en peau de chamois.

Ce qu’il y a de plus amusant, c’est que l’amour des boutons de guêtre d’un autre âge devient une vraie rage; il y a des gens qui passent leur vie à la recherche d’un tibia et qui barbouilleraient dix rames de papiers, pour démontrer l’endroit exact, à six pouces près, où Wolfe [le commandant des troupes anglaises sur les Plaines d’Abraham le 13 septembre 1759] a rendu l’âme.

J’avoue que j’aime mieux envoyer vingt-cinq billets doux par jour à une jolie femme, qui vit de mon temps, que d’adresser cinquante volumes à la câline d’une vénérable matrone qui avait l’honneur de causer avec mon bisaïeul.

 

Le Monde illustré (Montréal), 14 juin 1890.

L’image ci-haut où on voit Arthur Buies, à droite, prenant des notes, apparaît dans l’ouvrage d’Élie-J. Auclair, Le curé Labelle, sa vie et son œuvre. Montréal, Librairie Beauchemin Ltée, 1930.

On trouvera ici un certain nombre de billets en lien avec Arthur Buies.

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