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«Le lendemain d’un bal»

le chat

Il faut y penser deux fois avant d’organiser un bal, nous conseille Le Sorelois (Sorel) du 10 février 1882.

Les chaises qui tapissent les murailles restent en désordre dans les salons d’où la veille on a enlevé tous les meubles; sur le parquet traînent des pétales de fleurs artificielles, des bouts de rubans piétinés dans la bousculade du dernier quadrille; des parfums mélangés de fleurs, de punch, d’opoponax et de pommades s’évaporent lentement dans l’atmosphère alourdie; partout on respire cette mélancolie fatiguée laissée par les plaisirs convenus… Et les valets, baillant de leur nuit blanche, déçus dans leurs rêves de pourboires par la ladrerie moyenne, remettront l’ordre en maugréant…

Chacun fait le compte de ses déceptions.

Au maître de la maison, les sandwiches, les sorbets, les petits fours jusqu’à la décoration des salles, jusqu’aux insignes du cotillon, tout est venu plus cher qu’on n’avait calculé; secondés par l’office, les invités ont vidé jusqu’à la dernière goutte des bouteilles de champagne et les flacons de liqueurs.

Le pianiste lui-même a dévoilé après minuit des exigences extravagantes, et il a fallu subir ses conditions, sous peine de demander aux douairières, qui d’ailleurs ne jouent pas en mesure, le secours de leurs pauvres vieux doigts flétris.

Tout cela en pure perte. En donnant cette fête, n’avait-ce pas eu la secrète pensée de présenter à mademoiselle un jeune homme bien, qui aurait fait un mari fort convenable ?… et pendant toute la soirée, mademoiselle a écouté, les yeux souriants, les madrigaux d’un artiste, — un peintre, un propre à rien ! qu’on avait eu tort d’inviter, — avec lequel elle a dansé presque toutes les valses; tandis que le jeune homme bien, un gardénia à la boutonnière, ses gants gris perles serrés dans son chapeau mécanique, avait répondu aux agaceries d’une intrigante sans fortune.

Cependant, vers midi, mademoiselle se réveille, non sans avoir rêvé à son valseur, qui la serrait un peu fort.

Elle est toute pâle avec les yeux cernés de bistre et un grand mal de tête. Elle attend encore bourdonner à son oreille les accords du piano : un motif bête la poursuit, l’obsède. Elle se rappelle les compliments fades que les messieurs lui ont assurés, et les banalités qu’elle a répondues.

Ses impressions complexes et les bruits de la soirée lui reviennent en bouffées agrandies par la fatigue; de sorte qu’elle est portée au mal. Sa mère l’accable de reproches, à cause de sa conduite inconsidérée; elle se met à table sans appétit, tandis que son imagination, trottant menu, part en quête du «propre à rien» qui valsait avec tant d’âme.

Bons parents, donnez des bals ! Voilà le tableau du profit que vous y trouverez. Et ce tableau nous a paru piquant à reproduire au moment de la «saison dansante».

 

Le chat ci-haut est extrait de l’ouvrage d’Ole Könnecke, Le Grand Imagier des petits, Paris, L’École des loisirs, 2011. Traduit de l’allemand par Florence Seyvos.

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