Mettre en mots la nature
Voilà quelques semaines, je croise Jacques sur la rue, un copain qui me dit «J’ai beaucoup aimé ton livre Un Citadin à la campagne. Il faut que je te dise que j’aime le genre littéraire que les Américains appellent le Nature writing. Or, je me demande encore comment il se fait que si peu de Québécois au fil du temps n’ont approché ce genre. Et ton Citadin est en plein du Nature writing.»
Et sachant mon intérêt, Jacques me fait parvenir une bibliographie de huit titres. Wow ! Je connaissais un des livres que mon ami François m’avait donné en cadeau en 2011, celui de Sue Hubbell, Une année à la campagne.
Et la vie étant souvent bien faite, mon ami philosophe et bouquiniste Simon m’en a trouvé rapidement deux autres : Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, et Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables.
Je fus déçu de Tesson. Mais Leopold, l’Américain qu’on considère comme le père de l’écologie à l’égal de Thoreau, annonce beaucoup. En première de trois parties, il y va de ses observations à la campagne pour chacun des mois de l’année. Voici un de ses textes qui apparaît pour le mois de décembre :
Territoires domestiques
Les individus qui vivent sur ma ferme à l’état sauvage rechignent à me dire clairement quelle portion de mon territoire est comprise dans le périmètre de leurs battues quotidiennes, nocturnes ou diurnes. J’aimerais le savoir, car cela me permettrait de comparer la grandeur de nos univers respectifs, et de répondre à cette question beaucoup plus importante : qui est le mieux renseigné sur l’univers dans lequel il vit ?
Mes animaux, ressemblant en cela aux humains, révèlent souvent par leurs actes ce qu’ils refusent de dire avec des mots. Quand et comment semblable révélation a lieu, voilà qui n’est pas facile à prévoir. […]
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Les mésanges qui rendent visite à la mangeoire que nous avons installée pour elles sont attrapées et baguées chaque hiver. Certains de nos voisins nourrissent aussi les mésanges, mais aucun ne les bague. En notant les points les plus éloignés de la mangeoire où il nous est arrivé de repérer des mésanges baguées, nous avons appris que le territoire de notre troupeau s’étend à un rayon de quatre cents mètres en hiver, mais qu’il n comprend que des coins à l’abri du vent.
En été, lorsque la compagnie se disperse pour nidifier, on remarque des oiseaux bagués à une distance bien plus grande, et souvent en couple avec des oiseaux non bagués. En cette saison, les mésanges ne se préoccupent pas du vent; on les trouve souvent dans des espaces ouverts, non protégés. […]
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La science ne sait pas grand-chose des territoires domestiques; leur taille aux différentes saisons, quel gîte et quelle nourriture doivent y être inclus, de quelle manière ils peuvent être défendus contre les intrus et de quel type de propriété il s’agit, individuelle, familiale ou collective. Ce sont là les fondements de l’économie animale, ou encore de l’écologie. Chaque ferme est un livre pratique d’écologie animale; la foresterie en est la traduction.
Ci-bas, outre la couverture de l’ouvrage, voici la petite mésange dont parle l’auteur, la Mésange à tête noire.
À noter qu’au Québec, il est défendu à tout venant, comme moi-même par exemple, de baguer les oiseaux. Pour ce faire, il faut une formation (un certain nombre de connaissances sur la morphologie de l’oiseau), de même qu’un permis gouvernemental.
M. Provencher,
Merci pour votre article… Je ne savais pas que ce genre littéraire se nommait la Nature writing, des recherches sur le net s’imposent. Comme votre ami Jacques, je me demande aussi comment il se fait qu’il existe très peu de blogs sur la nature ici. Ce qui rend votre présence très importante pour tous ceux comme moi aimant de la nature.
Une visite sur le site de Archambault montre que le livre de Sue Hubbell et de Aldo Leopold sont en magasin, une visite au magasin s’impose.
Bon weekend !
Merci beaucoup , chère Vous, chère complice !
Je ne sais pas si Un an dans la vie d’une forêt de David G, Haskel entre dans cette catégorie. L’une de mes prochaines lectures.
Nous pourrions, je pense, l’inclure. Je dirais que le genre «Nature mise en mots» (Nature writing, en anglais) suppose un supplément d’âme par rapport au rapport scientifique. Et Haskel, tout en étant très scientifique, y met un supplément d’âme.