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L’histoire du jeune Ferrier, moussaillon

le petit mousseLes aventures vraies sont souvent plus intéressantes que les récits imaginaires les plus extravagants […].

Hier soir, le sergent Bouchard, vieux loup de mer qui a dit adieu depuis longtemps aux tempêtes et aux horizons sans bornes de l’Atlantique, lisait tranquillement son journal au poste de la rue Ontario [à Montréal], quand un homme d’une cinquantaine d’années, bien mis et de bonne mine, le salua en lui disant : Bonjour capitaine».

— Vous vous trompez, monsieur, dit le sergent, le capitaine de police se trouve au poste central, c’est M. Paradis.

— Je ne me trompe pas, répondit l’inconnu en souriant, vous êtes bien le capitaine de la Nancy.

Le Nancy ! s’écria le sergent Bouchard, en effet j’ai commandé un bâtiment de cela, pas loin de quarante ans !

— C’est bien cela, et vous m’avez sauvé la vie ! Votre main, capitaine ! Je me nomme Ferrier, le petit mousse du Treasurer.

La poignée de main fut vigoureuse, énergique et cordiale.

Il y a quarante ans, ni plus ni moins, c’était en 1845, M. Bouchard alors âgé de 18 ans était capitaine de la goélette Nancy qui naviguait dans le golfe, [du Saint-Laurent] et poussait même parfois jusqu’à la Jamaïque ou l’Angleterre, quand l’occasion se présentait.

Un jour qu’il remontait le fleuve, il fit la rencontre d’une barque, le Treasurer, chargée de sable ferrugineux à destination des forges du St-Maurice, de M. Bell, et après quelques pourparlers, prit la charge du Treasurer et les deux bâtiments firent voile chacun de leur côté.

Deux jours après par un beau soir d’été, le capitaine Bouchard se trouvait sur le pont, causant avec ses matelots du pays que l’on allait revoir, quand un bruit de voix sortit du fond de la cale du Nancy.

Il descendit et resta stupéfait en se trouvant en présence de deux galopins d’une dizaine d’années qui devisaient tranquillement de leurs petites affaires.

D’où venaient-ils ? Comment se trouvaient-ils là ?

On les interrogea et ils racontèrent que tous deux étaient mousses à bord du Treasurer qui venait d’Irlande, mais que, dégoutés des mauvais traitements que leur faisaient subir le capitaine et l’équipage, ils avaient résolu de déserter à la première occasion. […]

Les moussaillons avaient l’air de deux petits diables, mal peignés, couverts de haillons, maigres et pâles, comme des fantômes.

Que faire ? Le capitaine Bouchard se décida à les prendre sous sa protection et, quand la goélette arriva au Platon [Pointe-Platon sur la rive sud du Saint-Laurent, à une soixantaine de kilomètres de Québec, entre les villages de Saint-Croix et de Lotbinière, est aujourd’hui une réserve écologique], là où se trouve maintenant la magnifique habitation de l’honorable M. Joly, il parla de l’aventure à un de ses amis, M. Lauzon, cultivateur, qui demeurait sur le rivage.

M. Lauzon qui n’avait pas d’enfant adopta le plus jeune, nommé Ferrier, dont la mine éveillée et l’air intelligent lui plaisaient. Son camarade Barlow vint à Trois-Rivières et se décida plus tard à retourner en Irlande. […]

— Ferrier, Ferrier ! La Nancy !! répétait le brave sergent. Comment, moussaillon, c’est toi que j’ai débarqué au Platon

— C’est moi, capitaine.

M. Ferrier lui raconta son histoire : Lauzon, qui l’avait adopté, le mit à l’école et plus tard il lui donna sa nièce en mariage. Il a travaillé dur et ferme, et maintenant il est à la tête d’une jolie fortune et d’une belle famille.

Une grosse larme tomba sur la barbe du sergent Bouchard, en se souvenant de cette époque lointaine où, maître après Dieu sur son bâtiment, il parcourait les mers, rêvant peut-être de commander un jour un navire de hauts bords et d’avoir cinquante hommes sous ses ordres. […]

M. Ferrier, qui ne parlait qu’anglais il y a quarante ans, a complètement oublié sa langue maternelle et parle français comme tout le monde……. au Platon.

 

La Gazette de Joliette, 6 novembre 1885. Il s’agit d’un article reproduit du journal montréalais La Presse.

L’image coiffant cet article provient bien sûr de La Bonne Chanson, dix albums qu’on appelait Cahiers, parus de 1938 à 1951, du musicologue Charles-Émile Gadbois (1906-1981). Elle apparaît dans la série de manuels Chantons la bonne chanson à l’école, 1957, Cours secondaire, faisant partie du programme officiel du cours primaire, manuels approuvés par le Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique.

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