En voilà un qui aime l’hiver

Le chroniqueur de l’hebdomadaire Le Franco-Canadien, de Saint-Jean-sur-Richelieu, Athanase Fortpique, fait l’éloge de l’hiver le 30 novembre 1888.

N’empêche que notre hiver canadien, tant rigoureux qu’il soit, n’est pas la saison triste, image de vieillesse et de mort, chantée si lugubrement par les poètes, ces imaginations frileuses qui ont toujours la nostalgie du printemps.

Chez moi, l’hiver fait surgir une foule de souvenirs tous plus joyeux les uns que les autres.

La première neige me grise.

Les froids piquants de novembre me rajeunissent de vingt ans.

Car n’en déplaise aux amants du soleil, l’hiver est la saison des jeunes.

La nature s’endort, mais l’humanité se réveille.

Passez par les rues de Saint-Jean par un après-midi de l’hiver quand il y a neige et vous m’en direz des nouvelles.

Une animation qu’on chercherait vainement, en été, règne par toute la ville.

À certaines heures, la grande rue se remplit d’une foule agitée, remuante, allègre, qui fait plaisir à voir.

Les jeunes filles, la tête enfouie dans des fourrures sombres aux reflets lustrés, le teint animé, l’œil brillant, passent rapides et joyeuses, humant la brise glacée avec un petit air de bravade qui leur va à ravir.

Les militaires surtout sont superbes à voir.

Crânes, droits, l’œil à quinze pas

Le casque gaillardement campés sur le coin de l’oreille, ils arpentent bravement la rue d’un pas souple et cadencé dignes des carabiniers d’Offenbach.

A! j’aime les militaires !

Leur uniforme coquet,

Leurs moustaches, leur plumet,

Leur air vainqueur, leurs manières

En eux tout me plaît.

Le grésillement de la neige sous les traîneaux légers, les piaffements impatients des chevaux aux naseaux blancs de givre, le tintinottement joyeux des clochettes, le miroitement féérique des toits frangés de glaçons, tout cela représente un aspect de gaieté carnavalesque qui me rend gaillard et me donne des envies enfantines d’aller m’ébattre dans la neige avec les bambins qui me barrent le passage.