Le chat et le moineau
On a longtemps méconnu les qualités de cœur du chat, ce tigre pour pauvres diables, comme disait Théophile Gauthier. On le considère généralement comme un animal sournois, faux, et dont il faut toujours se méfier.
M. Émile Bouart, dans la Revue scientifique, n’est pas aussi sévère et il raconte une observation qui, cette fois, fait le plus grand honneur à cet animal aimé de Richelieu et des portières.
Un chat, le sien, fait un jour irruption dans sa chambre, tenant à la gueule un moineau happé dans le voisinage. À peine entré, il le lâche pour s’en amuser comme il eût fait d’une souris. Mais l’oiseau, au lieu de fuir, lui tient tête, le frappe à grands coups de bec sur le nez.
Ce pauvre petit avait une aile coupée, et c’est pour cela, qu’au lieu de prendre le large par l’air, sa vaillance aidant, il résistait de pied ferme. Le chat qui ne s’attendait à rien de pareil battit sans vergogne en retraite.
Depuis ce moment, les deux bêtes vécurent en bonne intelligence. Ce fut bientôt une amitié fraternelle. Ils mangeaient, dormaient, se promenaient côte à côte. Fréquemment, ils parcouraient la maison, le moineau juché sur le dos du chat, ou le chat tenant le moineau dans sa gueule. Il le lâchait à la première réquisition. Est-il besoin de le dire ? le plus faible était le tyran. Le quadrupède ne pouvait toucher à sa soupe avant que l’oiseau eût pris sa portion.
La Patrie (Montréal), 10 novembre 1884.
Ci-haut, la photographie du chat et du fantôme fut prise dans la région des Bois-Francs.