Skip to content

La sagesse venue du passage des ans

alphonselusignandeuxEn 1883, le journaliste et homme de lettres Alphonse Lusignan a 40 ans. Il se fait demander par un vieil ami : Dis-moi donc, es-tu ramolli ? D’où te viennent cette mansuétude envers les hommes que tu as si rudement combattus dans le passé, cette soudaine tendresse pour des adversaires naturels dans tous les ordres ?

Les colonnes de La Patrie lui étant ouvertes par son ami Honoré Beaugrand, Lusignan répond, le 16 novembre 1883, par la voix de ce quotidien montréalais.

Dans tous les ordres, non ! De ce que sur le terrain politique, ne nous entendant pas, nous nous sommes fouaillés, faut-il qu’à tout jamais nous nous regardions en chiens de faïence ? Chaque homme a, selon moi, du bon. L’un a une politique peut-être fausse, mais il est ardent patriote. Celui-ci professe une autre religion que moi, ce qui ne l’empêche pas, le progrès de la science aidant, de pouvoir en remontrer à Leibnitz en mathématiques.

Toi et moi sommes aux antipodes en philosophie, dois-je pour cela méconnaître ta science, tes talents, tes succès, ton mérite ? Il y a tel de mes amis avec qui je n’entreprendrais pas une discussion en matière de théâtre parce que nous nous froisserions inévitablement l’un l’autre; cependant je serais désolé de faire croire qu’il n’est pas un fin critique et un écrivain de goût.

J’ai dépassé l’âge des haines, surtout des haines stériles allumées pour le compte d’autrui. S’il y a ramollissement, c’est chez elles. Je ne me bats plus pour des gens qui ne me tiennent que par des côtés de convention. Je tiens à mes principes, je défends mes opinions, mais quant aux hommes, zut ! à moins qu’ils ne soient de mes amis. Parce que René, Jean, Jacques et moi nous sommes chanté pouilles — et pas pour notre plus grande gloire — parce que nous nous sommes houspillés sans merci; parce que nous avons gaspillé le temps que l’étude aurait dû prendre et dépensé nos années les plus actives en polémiques sans résultat, faudra-t-il que, tout en nous estimant, nous ne puissions que dire du mal les uns des autres ? Un homme a du mérite, sinon en ceci, en cela, — eh bien je le dis.

Après ?

Nous sommes fous de nous déchirer pour des ombres. Chaque parcelle de réputation que nous enlevons aux nôtres avec nos ongles de journalistes, qui sont plutôt des griffes, avec nos plumes qui sont trop souvent des crocs de fauves ou des crochets de chiffonniers, c’est autant de force perdue pour notre race, c’est un retard à son empire inéluctable sur le continent d’Amérique.

Les Américains vont recevoir de la France la statue de la Liberté éclairant le monde, et aucun peuple n’est aussi digne qu’eux d’accepter un cadeau plus sublime d’une nation plus généreuse; nous ici, dans notre modeste sphère, si nous pouvions apporter notre pierre au monument de la fraternité ! […]

Votre damnée presse politique ne rend justice à aucun adversaire. J’en suis sorti, Dieu merci, et c’est pour cela qu’aujourd’hui, sans avoir varié d’un iota dans mes opinions, encore moins dans mes principes, je suis rentré dans le calme et le serein. […]

Crois-moi ramolli, si tu veux; mais n’interprète pas mes paroles dans le sens d’un désir de coalition; personne ne veut de la coalition que ceux, les rares ambitieux, qu’elle désaffamerait.»

 

L’image ci-haut d’Alphonse Lusignan est accolée à ce texte du Monde illustré du 23 janvier 1892. On la trouve à l’adresse suivante : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm, au descripteur «Lusignan, Alphonse, 1843-1892».

Sur ce site, nous avons fait place à quelques reprises à ce cher Alphonse Lusignan.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS