«Une année sans été»
Je suis étonné de constater que déjà, dans La Minerve du 6 septembre 1884, on parle de cet événement comme de l’«année sans été». Encore aujourd’hui, c’est bien le nom que nous lui donnons. Voyons d’abord ce que le quotidien montréalais en dit alors.
À propos du singulier été que nous traversons actuellement, rappelons que l’année 1816 fut la plus remarquable de ce siècle par la rigueur de sa température. Il fit très froid pendant le mois de juin à New-York; la glace et la gelée y furent fréquentes. Presque tous les fruits furent détruits; la neige tomba à une hauteur de dix pouces dans le Vermont, de sept pouces dans le Maine, de trois pouces à New-York et dans le Massachusetts. Le mois de juillet fut de même nature; le mois d’août fut un peu plus doux, bien que la neige tomba encore vers le 30. En septembre, on eut quelques jours de beau temps, qui furent suivis immédiatement du retour de la mauvaise saison. Sans une abondante récolte de pommes de terre, une nouvelle famine eût éprouvé le pays. Le prix de toutes choses doubla et tripla, et des centaines de personnes périrent de faim.
Voici ce que j’écris à ce sujet dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent, p. 159-161 :
À l’été 1816, il continue de neiger jusqu’à la fin de juin. Dans son journal personnel, un capitaine de milice, Augustin Labadie, dépeint dans un style laborieux la situation en Beauce. «Il est de mon devoire, écrit-il, de dire la vérité que le 7 juin, les vents au nord toute la journée et gros vent et beaucoup de froid. Il a neigé presque toute la journée, que ce jour là même à Ste Marie, St-Joseph, St. François de la Beauce, les habitants ont traîné du bois avec leur traines pour se chauffer. La nège du long des clôtures étoit d’un pied et demis d’épaisseurs. Les habitant qui descendoit pour Québec était en capot et rodingode et mitenne. Il ont rapporté que la nège poudroit comme dans janvier et février. Beaucoup de maison ont été obligé de remonter leur poêlle. On geloit dans les maisons. On a beaucoup consommé du bois ces derniers jours. . . Il fait un gros mauvais temps, le sept de juin dans la nuit en venant au huit de juin au matin; il avoit negé toute la nuit. Les maisons, les terres, les montagnes étoit toutes blanches de nège comme dans l’hiver. . . Les vents sont au nord. Il a vanté beaucoup. Le soleil n’a point paru depuis douze jours. Il a une tache sur le soleil qui le couvre, qui fait qu’il ne parait point. On ne peut sortir de la maison qu’on est gelé du vent et du froid.» Cet été-là, à la mi-juillet, les lacs situés en arrière de Baie-Saint-Paul sont toujours recouverts de glace.
À vrai dire, il s’agit d’un été exceptionnel, tout l’hémisphère nord vivant sous une vague de froid inattendue. En Europe, les conditions climatiques entraînent presque la famine. On avance les explications les plus diverses. Certains hommes de science supposent que le phénomène est dû aux taches solaires. Ernst Chladni, un physicien allemand, attribue le froid à la présence de glaces polaires dans la zone septentrionale de l’Atlantique. D’autres pensent qu’une quantité de chaleur surgit de l’intérieur de la terre, mais que l’installation des paratonnerres inventés par Benjamin Franklin en interrompt le flux naturel, causant ainsi tout ce froid.
On mettra du temps à solutionner l’intrigue de cette année sans été et ce sont les chercheurs Henry et Elizabeth Stommel, à la fin des années 1970, qui relieront cet événement à l’éruption, l’année précédente, du Tambora, un volcan des Indes néerlandaises [dans l’île Soembawa] (voir la revue Pour la Science, août 1979, p. 46-52). Pendant des semaines, celui-ci avait craché dans l’atmosphère des tonnes de dioxyde de souffre qui, suite à un certain nombre de réactions chimiques, ont formé un voile à la lumière solaire et provoqué cette vague de froid sur la terre. On pense qu’il s’agit de la plus grande éruption volcanique depuis celle de 1601.
L’illustration des retombées de cendres, selon leur épaisseur, lors de l’éruption du Tambora en 1815 apparaît à la page Wikipédia consacrée à ce volcan.
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