L’homme fort Ignace Racette (premier de deux articles)

Le Québec a connu de nombreux hommes forts. En voici un qui n’est jamais passé à l’histoire. Pierre U. Vaillant tenait à témoigner à son sujet dans La Gazette de Joliette du 8 septembre 1882.

A. N. Montpetit a fait plusieurs beaux portraits à la plume de quelques-uns de nos géants canadiens, dont la race va toujours en dégénérant. Cependant il en reste beaucoup encore dont la valeur était digne de la plume de cet écrivain distingué et dont les prouesses sont encore inédites.

De ce nombre est certainement Ignace Racette dont les actions méritent de passer à la postérité autant que celles de Joe Montferrand, de Claude Grenache, etc. Il y a quarante ans, Racette démeurait à L’Assomption, Canada, à l’embouchure de la petite rivière l’Achigan, sur une jolie ferme qu’il s’était acquise au prix de ses rudes travaux à la haut comme on disait alors.

Je le tiens moi-même de la bouche de la respectable mère de Grenache que j’ai bien connue, qu’un jour Claude, alors âgé d’un an et demi, disparut tout à coup de la maison paternelle à la consternation de la bonne mère et des voisins, qui passèrent une heure à le chercher, tandis que le marmot était monté sur la maison et, à cheval sur le faîte, jouait gravement avec des morceaux de mortier arrachés à la cheminée.

Il ne paraît pas que Racette se soit distingué dans un âge aussi tendre; cependant des personnes, dignes de confiance, racontaient qu’à quinze ans, il avait arraché seul une vache de la boue d’un fossé profond, exploit qui, comme tout le monde sait, exige ordinairement les forces réunies de quatre hommes de capacité moyenne.

Racette était dans la fleur de l’âge quand je l’ai connu. Sa taille dépassait six pieds, et ses bras, comme ceux de Montferrand, dépassaient ses genoux et pendaient de chaque côté comme deux catapultes. Comme Grenache, il était doux, inoffensif et poli. Il n’était pas fanfaron ni batailleur comme Montferrand, et on disait de lui qu’il n’avait jamais frappé un homme de son poing.

Cependant, quand il se faisait quelque part une élection et qu’un candidat malhonnête soudoyait une escouade de bullies pour encombrer les polls et empêcher les gens de donner leur vote, on venait arracher Racette à ses paisibles travaux, et on le conduisait bien malgré lui au lieu où se commettait une si flagrante injustice.

Du haut de sa voiture qui l’avait amené, il commençait d’abord par prier les perturbateurs de faire place à ceux qui voulaient donner leur vote, que le privilège de voter appartenait à tout le monde, forts comme faibles, etc.

Puis si ce sage raisonnement et sa taille herculéenne ne faisaient aucun effet sur les mutins, d’un bond il sautait dans la multitude, il élevait ses deux bras auquel il donnait un mouvement horizontal de va-et-vient, et arrivait ainsi jusqu’à l’officier-rapporteur en fauchant aussi méthodiquement qu’il avait l’habitude de le faire dans sa «belle prairie du bord de l’eau».

Si toutefois un andin ne suffisait pas, il revenait sur ses pas de la même manière et d’une voix où l’on ne pouvait remarquer la même altération, il disait à la foule : «V’nez voter à c’te heure !» […]

(À continuer.)

Ci-haut, un des hommes forts du Québec au 20^e siècle, Victor Delamarre.