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Ce qu’il en coûte pour critiquer la magistrature, au Québec, en 1909

L’événement est passé à l’histoire. Un jeune journaliste, Jules Fournier (1884-1918), est condamné à trois mois de prison par le juge qu’il avait critiqué. Le journal Le Canadien en fait sa une le 19 juin 1909.

Le directeur du «Nationaliste», M. Jules Fournier, vient d’être condamné à trois mois de prison. On en sait la cause. La sentence est sévère, cruelle.

M. Fournier est un journaliste de talent. Il n’est âgé que de 24 ans. C’est un ardent libéral. Il l’était moins hier. C’est un ancien rédacteur du «Canada». Ses opinions peuvent continuer à se modifier. Libéral, il est devenu nationaliste. Il rêve de belles choses pour sa province et massacre les politiciens qui, selon lui et bien d’autres, la gouvernent mal.

Il est violent, quelquefois trop violent.

S’il est plus brillant, il a cependant la violence des anciens jeunes libéraux : François et Charles Langelier, le jeune F. X. Lemieux, le jeune Turgeon, le jeune Miville Dechêne. Et que dire du jeune Fréchette ? On dit que sir Lomer et sir Rodolphe Lemieux ont eu leurs jours de violence. M. Édouard Charlier, ancien directeur des «Débats», les a, dit-on, connus. Ils n’ont cependant jamais eu le courage de jules Fournier. Ils n’ont jamais accepté la responsabilité de leur violence. Ils se cachaient derrière des journalistes de plâtre.

Ils n’ont jamais été emprisonnés.

C’est le juge Langelier, l’un des plaignants contre Jules Fournier, qui a jugé et condamné le confrère. Pourquoi a-t-il voulu jouer ce rôle ?

Était-ce pour rehausser la magistrature ? Nous ne le croyons pas, nous ne pouvons le croire.

La magistrature ne souffre-t-elle pas du fait que le juge Langelier, se jugeant dans sa propre cause, s’est montré très sévère pour son accusateur ?

Fournier aurait dû être jugé par des jurés, par ses pairs.

Fournier n’avait pas commis de mépris de cour, mais il avait été trop violent contre certains juges.

L’opinion publique est indignée contre sir François Langelier. Nous le regrettons pour notre magistrature qui y perd de son prestige.

Jules Fournier, lui, détenu à la prison de Québec, est plus populaire que jamais.

C’est sous le régime libéral que la presse et les journalistes sont ainsi traités dans notre province.

Liberté de pensée, liberté de parole, liberté d’action, principes du libéralisme ! Quel mensonge !

 

Laurent Mailhot, écrivain et historien de la littérature québécoise, est l’auteur de la biographie de Fournier dans la Dictionnaire biographique du Canada. Il écrit : Libéré après 17 jours d’emprisonnement à Québec, Fournier est fêté au cours d’une assemblée publique au marché Saint-Jacques de Montréal, en juin 1909. Sa détention lui fournit matière à de savoureux Souvenirs de prison sur l’alimentation et l’hygiène, et à des personnages comme le gouverneur ou le « médecin malgré moi ». Ce vif petit récit sera reproduit et imité par Jacques Hébert dans Trois jours en prison à la suite de la controverse qui entourera l’exécution, en 1956, de Wilbert Coffin, condamné pour meurtre.

En hommage à son talent d’écrivain, Le Conseil supérieur de la langue française a créé en 1980 le prix Jules-Fournier, accordé annuellement à un journaliste pour la qualité de son écriture. Pierre Foglia fut le lauréat en 2013.

La photographie de Jules Fournier, prise vers 1910, apparaît sur la page Wikipédia qu’on lui consacre.

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