Le Central Park fait pitié en ce moment
Vous vous rendez à New York bientôt ? N’accourez pas là pour profiter de ce grand parc, il n’a rien d’intéressant.
Jamais depuis sa création, le Central Park à New-York, autrefois l’orgueil de la ville, n’a été dans une aussi pitoyable condition qu’aujourd’hui. On dirait une propriété dépendant d’une succession en déshérence depuis un quart de siècle.
Les signes d’entretien sont visibles nulle part. L’asphalte des promenades foisonne de crevasses, les arbres ne sont pas émondés, le gazon des pelouses croît irrégulièrement et à la diable, le sol est jonché de branches mortes, les bancs sont couverts de boue et souvent estropiés, le bois des sièges rustiques est pourri; le mortier et les briques se sont détachés ça et là des voûtes des ponts de pierre, offrant des anfractuosités dans lesquelles on peut plonger le bras.
Les ponts de bois tombent en pourriture, et notamment celui qu’il faut traverser pour aller au musée d’histoire naturelle menace de s’écrouler d’un jour à l’autre, quelques-uns des piliers ayant été presque réduits en poussière par les insectes et les intempéries; les bords du lac sont déshonorés par une épaisse vase verte et une accumulation de saletés de toutes provenances; les boat houses sont délabrées; les fontaines, engorgées par les feuilles et la boue, ressemblent à des abreuvoirs d’animaux de basse-cour.
Pauvre parc ! Quantum mutatus ab illo ! [Comme tu as changé !] soupirait mélancoliquement un professeur de latin d’une institution voisine, qui y avait mené ses élèves en promenade l’autre jour.
Les commissaires commencent à s’apercevoir que les New-Yorkais ne sont pas contents de la façon dont la plus belle de leurs propriétés est administrée. Ils promettent qu’on va faire sérieusement sa toilette de printemps, et ils donnent à espérer que la saison ne s’écoulera pas sans que le Central Park ait repris un aspect présentable.
Source: La Patrie (Montréal), 9 avril 1881.