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Et vient le printemps

Au moment où il lui faut rédiger son papier en vue de l’édition du 26 mars 1904, le chroniqueur de l’Album universel Léon d’Ornano, Corse d’origine, est soudain viré à l’envers par ce qu’il entend chez son voisin à travers la cloison. Il essaie d’écrire son texte, mais est fort distrait.

L’homme s’agite, et la nature suit son cours. Voici l’équinoxe du printemps, et le soleil brillant chasse la neige. On sent approcher le moment où il fera bon vivre dans les champs fleuris. Après le dur hiver que nous venons de cataloguer, les doigts bleuis par l’onglée, il est doux de songer au Renouveau.

Ah ! ces printemps vécus, que ne disent-ils à nos cœurs lorsque s’approche l’automne de la vie ? Pour ma part, j’ai eu aujourd’hui une petite émotion d’un ordre très délicat. Au risque d’être taxé d’une sensiblerie, telle que les romanciers en prêtent aux jeunes filles en pension dans les couvents, je me hasarde à en dire deux mots.

Frileux comme un loir et détestant la boue printanière à l’égal d’une hermine, j’étais resté chez moi. Vers les deux heures, un chaud rayon de soleil se risqua sur le tapis de ma chambre; au ciel bleu, une forte brise chassait de légers nuages; je me pris à faire des projets d’excursions pour l’été prochain. Je me voyais solitaire courant la campagne, un bouquin en poche, et l’amour du plein air et de la liberté guidant mes pas.

J’en étais à ébaucher tout un programme de délectations sylvestres, lorsque, dans une pièce voisine, se fit entendre une boîte à musique.

Dans le rythme voulu et avec cette précision mécanique qui navre les vrais musiciens, le minuscule orchestre égrenait quoi ? Tout bonnement la Valse des Roses, cette valse vieillotte, chef-d’œuvre de Métra :

Viens avec moi pour fêter le printemps,
Nous cueillerons des lilas et des roses.

Et mon cœur se prit à faire de l’accompagnement à la sourdine.

Un instant je crus voir défiler mes vingt ans, là-bas, de l’autre côté du monde. Des promenades ensoleillées me revinrent à l’esprit, et, la puissance du souvenir aidant, je crus revoir un virginal minois qu’encadrait une tonnelle de troëne. Pourquoi ce souvenir plutôt qu’un autre, mystère !

Toujours est-il que la petite boîte à musique a chez moi fait valser la folle du logis. Les océans s’évanouirent, et j’ai vécu un moment délicieux.

J’en remerciais le soleil de cet après-midi, si le scélérat, en fuyant, tandis que je passais devant un miroir, ne m’eût montré que sur ma tempe gauche s’étale déjà un fil d’argent. Cette constatation me fit soupirer. Le troëne m’est apparu de nouveau, ses feuilles toutes rouillées; son ombre n’abritait plus le frais minois.

Qu’est-elle devenue, cette amie de mes vingt ans ? Peut-être y a-t-il longtemps qu’elle est au ciel. Sinon qui sait si elle ne pense pas parfois au troëne d’antan et à nos serments que la vie brisa !

Et je songeais à la perpétuelle mutation d’ici-bas, à l’éternelle fuite des choses et des gens !

5 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther #

    À la fois romantique et nostalgique… alors que le printemps est source de promesses !
    « Quand les lilas refleuriront, au vent les capuchons de laine, nos robes rouges nous mettrons… »

    20 mars 2014
  2. Jean Provencher #

    Chère Esther, sont-ce les paroles d’une chanson ?

    Ah voilà, je viens de trouver sur You Tube. Je ne connaissais pas. Merci beaucoup.

    20 mars 2014
  3. Nicole Richer #

    Bonjour,

    J’ai vu le printemps aujourd’hui à St-Marc-sur-Richelieu. Il était perché dans le pommier derrière la maison. Ébouriffé par le vent, on pouvait voir ses épaulettes rouges. Il était seul et silencieux. J’ai hâte à demain, peut-être va-t-il me chanter sa chanson.

    Sont-ils arrivés chez-vous ?

    Bon printemps !

    20 mars 2014
  4. Jean Provencher #

    Fort chanceuse êtes-Vous ! Chez moi, ils ne sont pas encore là. Je Vous souhaite d’entendre sa chanson dès demain ! Et je trouve que c’est encourageant pour tout le monde s’il soit rentré chez Vous; cela veut dire que nous pourrions l’accueillir à notre tour très bientôt.

    20 mars 2014
  5. Esther #

    Tant mieux si vous avez trouvé une source ! C’était dans les cahiers de « La Bonne Chanson », souvenir souvenir !

    20 mars 2014

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