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Une page sur Joe Montferrand

Figure légendaire au Québec, Joe Montferrand (1802-1864), né à Montréal, fut longtemps un véritable héros. Aujourd’hui, on en a passablement perdu le souvenir, disparu au profit de Louis Cyr et Hugo Girard. Mais, à l’époque, un peu partout au Québec et en Nouvelle-Angleterre, on aimait rappeler ses «bons coups» d’homme fort. La Tribune du 6 mars 1896 cause ici de quelques-uns de ses exploits.

Un jour qu’il transportait à lui seul une pièce de bois énorme, sa mère lui dit :

Tu es fort, mais n’en sois pas trop glorieux, ton père était plus fort que toi.

À seize ans, une circonstance fortuite le rendit tout à coup célèbre dans le quartier [il habitait Montréal].

Il travaillait à une excavation devant la maison de son père. Un nommé Michel Deranleau, fameux «boulé» traversant la rue en compagnie de deux autres fiers à bras, très connus dans les élections, mit le pied sur la tête de l’enfant qui se trouvait au niveau du sol. Cette insolence ne plut pas à Montferrand qui, poussé par un ressort, sortit de terre et alla tomber au milieu des trois hommes. Duranleau qui n’avait pas encore «rencontré son maître» fut rossé, avec ses compagnons.

Tous trois étaient de la campagne. Les gens du quartier Saint-Laurent considérèrent cette victoire comme un item à leur crédit.

Deux boxeurs anglais renommés luttaient un jour, en 1818, sur le Champ de Mars de Montréal, en présence de la foule et d’une partie des troupes de la garnison. On rapporte que le vainqueur fut proclamé champion du Canada et que le meilleur homme du pays fut appelé séance tenante à lui disputer ce titre. Le sang de Montferrand ne fit qu’un tour : il ne voulait pas laisser la palme à un Anglais ! Selon la coutume du temps, il s’élança dans le cercle et chanta le coq : cela signifiant qu’il relevait le défi. Les gens du quartier Saint Laurent battirent des mains — ils connaissaient l’enfant qui allait se mesurer au boxeur anglais. Leur espoir ne fut point trompé. Montferrand ne porta qu’un seul coup de poing, mais si parfaitement appliqué que son adversaire se déclara incapable de tenir devant lui.

Ses bras, sur le vainqueur, dans sa gloire troublée,
Frappent comme un fléau sur la gerbe de blé.

Un jour que Montferrand portait sur lui plusieurs milliers de dollars, pour la paie des gens du chantier où il était contremaître, il fut attaqué par cinq hommes qui voulaient le dévaliser.

Il en assomma trois et prit les deux autres pour les livrer à la justice.

Trois qualités physiques faisaient de Montferrand un homme redoutable : les bras longs et forts, la jambe qu’il maniait comme un fouet et la souplesse incroyable de tout son corps. Ajoutons à cela un sang-froid qui rendait son courage effrayant.

Vers 1828, à Montréal, un major du nom de Jones, appartenant à l’armée anglaise, passait pour un pugiliste invincible. Il affectait un profond mépris des canadiens. Un jour, dans une buvette de la Place d’Armes, il vit entrer Montferrand et se moqua de lui. Dix minutes après, les deux hommes se mesuraient dans la cour de l’établissement. À chaque coup appliqué d’une main sûre, Montferrand lui disait :

Insulterez-vous encore les Canadiens ?

Le major capitula, tout grand boxeur qu’il était.

En 1828, à Québec, Montferrand pensionnait à l’Hôtel de Québec, tenu par un nommé Beaulieu. Les frères McDonnell, commis de Bowman et McGill, donnaient un bal aux voyageurs. Les officiers d’un navire anglais s’avisèrent de troubler la fête. Ils cherchaient à se mesurer contre les plus vaillants et menaçaient de tout briser dans l’hôtel. C’était la mode du temps. Les McDonnell appelèrent au secours : Montferrand descendit de sa chambre. Il tenta d’abord de faire sentir sa force aux intrus, mais ceux-ci s’armèrent de garcettes — alors le véritable bal commença ! Montferrand ne manqua pas un seul officier; il les laissa tous aux mains des médecins.

La chose fit grand bruit par la ville. Les sportsmen accoururent le lendemain; ils venaient des navires en rade et principalement de la garnison. Montferrand ne pouvait suffire à répondre aux éloges dont on l’accablait et aux attentions que lui témoignaient ces visiteurs enthousiasmés.

 

La gravure est extraite de l’ouvrage de Benjamin Sulte, Histoire de Jos. Montferrand, L’athlète canadien, Montréal, Librairie Beauchemin, 1899, p. 21.

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