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«Vieux chants» (première partie)

Vous le savez, je rêve d’une grande histoire de la chanson québécoise, une histoire qui remonte loin dans le temps et non à une cinquantaine d’années. Car d’autres ont chanté bien avant nous. Aussi, j’attrape au vol dans les vieux journaux tout ce que je peux lié à la chanson du Québec.

Et voici que le chroniqueur A. Beauchamp [il signe A. B.] y va, à la une de La Patrie du 4 mars 1893, d’un récit qu’il intitule «Vieux chants». Instants de vie.

Le vent est aux chansons populaires, aux vieux chants rustiques et même aux anciens cantiques spirituels, qui mettaient de la dévotion plein le cœur de nos bonnes aïeules et des larmes plein leurs yeux.

Ma grand’mère maternelle avait enveloppé soigneusement dans une serviette et tenu dans le fond d’un coffre un Cantique de Marseille, dont elle faisait un Cantique de Marcel. Il faut vous dire que mère-grand à moi n’était pas forte en géographie et encore moins en latin, ce qui ne l’empêchait pas de dire ses prières dans cette langue morte, à la façon de l’époque. […]

Le coffre de notre aïeule était une espèce de boîte à tout mettre, où s’entassaient pêle-mêle des clous, une vrille, un marteau, des onguents «miton-mitaine», deux ou trois coiffes normandes, des châles, des jupons, etc.

Les objets durs, comme les clous, le marteau, etc., se mettaient dans l’équipet du coffre. Ce caravansérail était toujours fermé à clef, excepté lorsque notre grand’mère oubliait la clef dans la serrure, ce qui arrivait souvent et nous permettait de faire l’inventaire de l’inépuisable boîte aussi grande qu’une hutte de charbonnier. Pour faire cette inspection, nous attendions l’heure de la sieste, entre une heure ou deux de l’après-dînée.

Après le repas du midi, notre mémère se mettait dans son vaste fauteuil, son tricotage à la main et invitait un de ses p’tits gars à lui chanter un ou deux chants de son cantique de Marcel. Ses cantiques favoris étaient : Joseph vendu par ses frères, L’Enfant prodigue et quelques autres.

On a dit avec raison que la mémoire des enfants est rétentive; quoique près d’un demi-siècle se soit écoulé depuis ces jours heureux et sans souci de notre enfance, je me rappelle encore des couplets entiers de ces cantiques, dont quelques-uns avaient quarante ou cinquante strophes.

En voici deux de L’Enfant prodigue :

Le Père :

Pourquoi veux-tu mon enfant
Faire ce que Dieu défend ?
Veux-tu désoler ton père,
Tes parents et tes amis ?
Je serais digne de blâme,
Si je te l’avais permis.

Le Fils :

Vous me traitez en barbet,
Et je veux vivre en cadet.
Donnez-moi vite, mon père,
Ce qui revient de ma part,
Vous aurez mon autre frère;
Consentez à mon départ.

Vers la neuvième, au plus la douzième strophe, nous pouvions voir le tricotage tomber sur le plancher et le peloton de laine rouler jusqu’à l’autre bout de la chambre. La tête de notre vénérable aïeule renversée en arrière, sur le dossier moelleux du fauteuil, et quelques ronflements sonores nous disaient que mémère était dans le monde des rêves.

Nous choisissions cet instant pour faire, barbares que nous étions, une incursion dans les profondeurs du vaste coffre. Tandis que nous y mettions tout sans dessus dessous, pour en retirer un ou deux cornets de sucre que nous étions toujours sûrs d’y trouver, la chatte de la maison, une jeune espiègle encore trop philosophe pour chasser les souris, faisait avec le peloton de laine de grand’mère des gambades, des sauts de singe auquel on mettrait le feu sous la queue, des sauts à désespérer l’acrobate le plus intrépide, le plus effronté.

Aussitôt que nous voyions, chez mère-grand, des signes de réveil, nous disparaissions, nous nous évanouissions comme les pantins des faiseurs de magie. C’est la chatte qui payait en coups de manche à balai ses escapades et les nôtres par-dessus le marché.

 

Demain : la seconde partie.

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