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Cessons d’araser les traces du passé

À la fin du 19e siècle, Sorel, à la rencontre du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu, est une ville maritime importante. Halte maritime, dotée aussi de nombreux chantiers navals, elle est le lieu par excellence d’hivernage des bateaux du Saint-Laurent. Elle fut aussi un lieu de défense contre les Iroquois du 17e siècle qui arrivaient par le Richelieu en provenance du lac Champlain.

Or, au début des années 1880, à Sorel, on arrive à «lire» encore des moments de cette histoire. Et la ville s’apprête à vivre ce que les habitants de la ville de Québec souhaitaient au début des années 1870, effacer les traces du passé.

À Québec, le gouverneur général, Lord Dufferin, conseilla avec justesse de ne pas raser les vieilles fortifications. «On viendra de partout admirer votre ville charmante.» Par bonheur, il fut écouté.

Or, en cette fin de siècle de progrès divers, la ville de Sorel vit le même dilemme. Que faire ? Laminer pour faire moderne ? Raser pour créer une promenade près du fleuve ? Le bihebdomadaire Le Sorelois prend tout de suite parti pour la sauvegarde de ce qu’on appelle alors non pas un patrimoine, mais une «antiquité».

Sous le titre justement de «Antiquité», Le Sorelois, du 18 janvier 1884, écrit :

Les bâtiments, situés à l’entrée du Richelieu et qui servaient autrefois de casernes en cette ville, viennent d’être vendus à l’enchère et l’on devra les enlever dans un court délai. Ainsi, les vieilles reliques qui nous rappellent les luttes que nos pères ont eu à faire pour leur liberté disparaissent petit à petit et, bientôt, si l’œuvre des démolisseurs continue, il n’en restera plus rien.

Ici, nous avons encore, outre ces bâtiments, une construction en pierre qui servait jadis de poudrière et que l’on parle aussi de démolir.

Ne serait-il pas plus sage de la part de la Cie du Richelieu de la laisser subsister et d’en faire un ornement pour la promenade projetée à cet endroit.

Cette vieille poudrière, en rappelant un passé orageux, serait un sujet d’orgueil pour la ville et un objet d’attraction et d’intérêt pour les étrangers.

Et, si l’on veut bien nous permettre une autre suggestion, nous dirons que, pour quelques dollars, on pourrait faire réparer un peu ce bâtiment et le rendre encore plus attrayant. On pourrait, par exemple, l’entourer d’une petite galerie à une dizaine de pieds du sol, en peindre l’extérieur d’une couleur voyante, et le surmonter d’un mât au haut duquel on hisserait un pavillon, aux jours de fête.

À l’intérieur, on pourrait disposer les choses de manière à en faire une pièce logeable, qui serait louée en été à un restaurateur obligé de tenir des liqueurs de tempérance, du café, des fruits, etc., qui accommoderait les promeneurs tout en faisant le profit du locataire.

En effet, on sait que chaque beau soir d’été, il y a quantité de promeneurs à cet endroit. C’est le rendez-vous de la ville. C’est là qu’on se rend pour dire adieu aux amis et aux parents qui nous quittent, pour souhaiter la bienvenue aux étrangers qui nous honorent d’une visite, et saluer les amis et les parents qui nous reviennent après de longs jours d’absence.

Puis, souvent les vapeurs sont en retard; alors, on se promène sur les quais, et, si l’on trouve à notre portée un café bien tenu, pourquoi ne pas y entrer et tromper les ennuis de l’attente en dégustant une liqueur savoureuse et des fruits délicieux ?

 

L’histoire ne dit pas si Le Sorelois fut entendu. Je poursuis mes recherches à ce sujet. Chose certaine, manifestement, il y a 130 ans, on trouvait des Sorelois avec des idées géniales.

Le 29 janvier 1884, Le Sorelois ajoute une note : Nous voyons avec plaisir que le News de cette ville approuve du tout au tout les idées exprimées dans notre article ayant titre «Antiquité» et qu’il se joint à nous pour demander la conservation de la vieille poudrière située sur les terrains de la Cie Richelieu. Notre article à ce sujet a aussi été reproduit par des journaux américains, entre autres par le Canadien de Spencer, Mass.

Finalement, le 22 février 1884, Le Sorelois y va du texte suivant : Notre vieille poudrière. Nous sommes heureux d’annoncer que la Compagnie Richelieu a bien voulu se rendre à la suggestion que nous avons faite il y a quelques temps à la requête du conseil de ville au sujet de cette vieille construction. Elle a décidé de la conserver et de la réparer de manière à en faire l’un des ornements de la promenade projetée à l’endroit où elle est située. Nous ne saurions trop féliciter les directeurs de cette compagnie pour cette résolution.

L‘illustration du vapeur Berthier arrivant au quai de Sorel est d’abord parue dans L’Opinion publique du 27 juillet 1871. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Sorel (Québec)».

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