Une mouche de moutarde comme châtiment
La vie des enfants d’autrefois dans les foyers d’adoption était parfois fort triste. Voici ce récit du journal Le Sorelois du 31 janvier 1882.
Les journaux anglais de Montréal donnent de longs comptes-rendus sur l’enquête qui se tient en ce moment sur la conduite de la directrice du Hervey Institute, institution destinée à recueillir des enfants abandonnés ou orphelins. Dans cette institution comme dans beaucoup d’autres, les coups de bâtons, comme punition, sont défendus. La directrice devait conduire ses enfants au moyen de la persuasion, mais elle n’obtenait pas toujours son but, elle avait alors recours, paraît-il, à un procédé ingénieux pour faire entrer les mutins dans le devoir; elle leur appliquait une emplâtre de moutarde sur le dos ou ailleurs.
«L’enfant, dit L’Opinion publique, ayant le feu au… dos, se plaignait, pleurait vingt fois plus que s’il avait reçu un bon fouet, ancien système.» La directrice, grâce à la moutarde, pouvait se conformer aux règlements et tout de même munir les enfants à son gré.
Tout marchait pour le mieux au gré de la directrice. Les enfants croissaient en sagesse et dans une sainte horreur de la moutarde. Malheureusement, les murs parlent. Une bonne, préposée à la garde des enfants, ébruita la découverte, fit connaître au dehors la vertu curative de la moutarde. Les journaux en parlèrent et crièrent à la cruauté. Une enquête demandée et accordée réunit dans l’institution une vingtaine de dames nommées juges de ce cas grave.
Il y eut examen de la cause, nous disent nos confrères; un médecin apporta ses lumières et, chose à peine croyable, les dames, au nombre de dix-huit sur vingt, exonèrent la directrice en lui recommandant, toutefois, de garder à l’avenir la moutarde à la cuisine.
Il paraît que les blessures n’étaient pas très graves; car, disent les journaux anglais : the children could yet sit down, les enfants après la punition pouvaient encore s’asseoir, phrase qui nous porte à croire que la moutarde avait chauffé à l’endroit où, d’après une coutume antique et solennelle, l’enfant reçoit les corrections paternelles et maternelles. D’aucuns prétendent que les blessures étaient assez graves et qu’elles laissaient des traces un mois après l’application.
Calino le naïf dirait que cela serait fâcheux si ces pauvres petits restaient marqués pour toujours !
Toute cette affaire est foncièrement ridicule et fait perdre presque de vue la question d’humanité.
Il y a eu là brutalité cent fois pire que la punition défendue.
Il est évident qu’une société protectrice de l’enfance est aussi nécessaire qu’une société protectrice des animaux.
Cet article paraît également dans le quotidien de Québec, Le Canadien, du 28 janvier 1882.
Il nous faudra bien un jour une grande histoire de nos enfants du Québec.