Skip to content

«Une scène dans un hôtel de Montréal»

Depuis quelques jours, un étranger aux allures excentriques habitait seul une chambre d’hôtel de la partie ouest de la ville.

Bien que l’on n’eût jamais vu entrer de visiteurs dans l’appartement du voyageur, le personnel entendait assez fréquemment de violentes discussions qui paraissaient avoir lieu entre le locataire et deux autres personnes. On distinguait la voix d’une femme et celle d’un jeune enfant.

Dans un angle de la chambre à coucher, une malle de grande dimension, fermée par deux serrures, avait été déposée. Sur les côtés de la malle, étaient disposées des bandes de toile scellées par des cachets de cire. Le voyageur avait particulièrement recommandé de ne pas toucher à ce coffre.

L’autre soir, le bruit d’une violente altercation mettait encore en émoi le personnel de l’hôtel. On entendait très nettement les cris : «Au secours ! Il m’a tuée ! Le misérable ! De l’air ! Je meurs !» qui semblaient poussés par une femme. Ils prévinrent immédiatement le gérant de l’hôtel, qui fut d’avis d’ouvrir la porte de l’appartement. Mais, au moment où un garçon plaçait la clef dans la serrure, un verrou était tiré de l’intérieur, et le voyageur s’écriait d’un ton courroucé :

— Laissez-moi tranquille…f… moi la paix, mêlez-vous de vos affaires. Ce qui se passe ici ne vous regarde pas.

La scène violente continuait; mais, maintenant, on n’entendait plus de voix de femme. C’était des pleurs et des cris d’enfants : «Pardon, papa, pardon ! Ne me tue pas, je ne dirai rien… non… je ne dirai rien…»

Sur les instances du propriétaire, le voyageur se décida à tirer le verrou et à ouvrir lui-même.

— Je ne sais pas ce que vous voulez, messieurs, dit-il. Je crois être le maître chez moi, et je ne comprends pas ce qui me vaut l’honneur de votre visite. Vous voyez que tout est calme.

De l’armoire à glace, située dans la chambre à coucher, sortaient les cris :

— Maman ! maman ! pardon ! Grâce, papa ! je ne dirai rien !

On s’approcha de la malle; mais il n’en sortait plus aucun bruit.

On ouvrit la malle, elle était vide. L’hôte ouvrit l’armoire à glace… Sur un des rayons, on trouva un enfant paraissant âgé de 3 à 4 ans.

— Je vous remercie bien, monsieur ! disait l’enfant au commissaire. Il ne fallait pas vous donner tant de peine. Mon papa est ventriloque et je suis un enfant de carton.

Le mystérieux voyageur est disparu !

 

Source : Le Canadien, 4 décembre 1889.

L’illustration, une photographie de Machmolo, se trouve sur la page Wikipédia consacrée au ventriloque français David Michel.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS