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L’alose, un poisson fort sensible

Le bi-hebdomadaire Le Sorelois rapporte le 12 décembre 1884 une histoire étonnante.

On est témoin depuis trois ou quatre jours d’un phénomène assez curieux. À chaque marée, le fleuve, en face de Québec, se couvre d’une infinité de petits poissons morts qui flottent au courant. On peut les compter par milliers. On croit que ce sont des aloses. À un moment, dans les anses, près des quais, l’eau en est littéralement couverte. Les connaisseurs en pisciculture nous expliqueront sans doute ce phénomène. Règne-t-il une épidémie parmi les poissons ? Y a-t-il eu quelques commotions sous-marines ? Il serait assez curieux de connaître si ce phénomène se reproduit à d’autres endroits, le long des côtes du fleuve.

 

Le 19 décembre 1884, toujours dans Le Sorelois, le journaliste André-Napoléon Montpetit apporte une réponse à ces questions :

J’attribue la mort de ces petites aloses à l’ouragan du 5 novembre — qui a soulevé le fleuve Saint-Laurent de son lit, inondé des villes, effondrée des quais, broyé tant de navires. Voici pourquoi :

L’alose est excessivement défiante et sauvage. Le moindre changement opéré, dans les rivières qu’elle fréquente, soit par des barrages, soit par l’installation d’usines ou autrement, lui fait rebrousser chemin et chercher une nouvelle habitation.

Car chacun sait que les poissons d’eau salée, qui fraient dans les eaux douces, reviennent toujours au lieu de leur naissance, hormis qu’ils en soient empêchés par des obstacles insurmontables. Le saumon s’éloigne fort peu de sa rivière natale. Il en est de même des oiseaux migrateurs qui reviennent presque toujours dans les mêmes parages. Ils ont l’amour du nid et des lieux où les ont conduits leurs parents. C’est leur patrie à eux. Ils l’aiment et la saluent de loin avec des cris de joie.

Il y a quelque 50 ans, l’alose remontait le fleuve Saint-Laurent, côtoyant ses deux rives jusqu’au dessus de Montréal. Je me suis laissé conter qu’à Beauharnois, à un endroit appelé le Buisson, on en capturait des quantités telles qu’on en faisait des monceaux sur la rive. En prenait qui voulait, mais on en rejetait la plus grande partie dans le fleuve, faute de consommateurs.

Mais lorsque le canal de Beauharnois fut ouvert à la navigation, en 1844, et que les bateaux à vapeur sillonnèrent la partie sud du lac Saint-Louis, en tous sens, l’alose disparut complètement des rives de Beauharnois pour se réfugier vers la côte nord.

S’il survient une crue par hasard, les aloses attendent pour monter que l’eau ait repris sa pureté première. Si elles sont surprises par une crue dans leur remonte, elles s’en retournent vers la mer. On dit même, et cela ne date pas d’aujourd’hui, puisque Elien le rapporte, que s’il tonne pendant que les aloses remontent les fleuves, elles s’en retournent rapidement à la mer.

Ce fait établi, on doit en conclure que les petites aloses sont pour le moins aussi craintives et timides que les grandes. Telles mères, telles filles. Or, les petites aloses que l’on voit se jouer, s’ébattre en si grand nombre sur nos grève au-dessous de Québec, au mois d’août et septembre, voire même jusqu’en octobre, qui servent d’appât pour la pêche aux bars, ne descendent à la mer que vers les derniers jours d’octobre.

L’ouragan du 5 novembre les aura surprises en route et les aura repoussées vers les eaux douces, où, faute d’une nourriture convenable, ou peut-être à cause de la température de l’eau, hors de l’élément que la nature et leur instinct les sollicitent de rechercher, elles sont mortes, soit de froid, soit d’inanition.

Voilà mon hypothèse : à d’autres d’en trouver une qui vaille davantage.

 

L’image de l’alose provient du site du ministère du Développement durable, Environnement, Faune et Parcs du Québec.

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