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«Vers d’un philosophe aimable»

À la une du journal Le Sorelois du 9 novembre 1880.

 

 

 

 

 

Petit bien qui ne doive rien,
Petit jardin, petite table,
Petit minois qui m’aime bien,
Sont pour moi chose délectable.
J’aime à trouver, quand il fait froid,
Grand feu dans un petit endroit.
Les délicats font grande chère,
Quand on leur sert dans un repas
De grands vins dans un petit verre,
De grands mets dans de petits plats.

Il résulta dans ce langage,
Qu’il ne faut jamais rien de trop;
Que de sens renferme ce mot,
Qu’il est judicieux et sage !

Trop de repos nous engourdit,
Trop de fracas nous étourdit,
Trop de froideur est indolence,
Trop d’activité turbulence,
Trop d’amour trouble la raison,
Trop de remède est un poison,
Trop de finesse est artifice,
Trop de rigueur est dureté,
Trop d’économie avarice,
Trop d’audace témérité,
Trop de bien devient un fardeau,
Trop d’honneur est un esclavage,
Trop de plaisir mène au tombeau,
Trop d’esprit nous porte dommage,
Trop de confiance nous perd,
Trop de franchise nous dessert,
Trop de bonté devient faiblesse,
Trop de fierté devient hauteur,
Trop de complaisance bassesse,
Trop de politesse fadeur,
Ce trop pourrait à le bien prendre,
Aisément se changer en bien.
Cela vient faute de s’entendre,
Le tout souvent dépend d’un rien,
Un rien est de grande importance,
Un rien produit de grands effets;
En amour, en guerre, en procès,
Un rien fait pencher la balance,
Un rien nous pousse auprès des grands,
Un rien nous fait aimer des belles,
Un rien nous fait sortir nos talents,
Un rien dérange nos cervelles;
D’un rien de plus d’un rien de moins,
Dépend le succès de nos soins :
Un rien flatte quand on espère,
Un rien trouble lorsque l’on craint;
Amour ton feu ne dure guère,
Un rien l’allume, un rien l’éteint.

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