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Un texte de l’épouse d’Alphonse Daudet, Julia Allard

On connaît bien Alphonse Daudet (1840-1897), ce Provençal écrivain et auteur dramatique, célèbre, entre autres, pour ses Lettres de mon moulin, dont fait partie La Chèvre de monsieur Séguin.

Mais sait-on que son épouse Julia Allard (1844-1940), femme de lettres, a écrit et publié ? En une, l’hebdomadaire L’Écho des Bois-Francs (Arthabaska) du 5 octobre 1895 publie un extrait de son livre Enfants et mères paru en l889. Un beau texte, absolument senti, venant d’une observation attentive et fort attendrissant.

Premier pas.

Certes, bébé tenait déjà bien sa place nouvelle dans la maison, son berceau près du lit, sa haute chaise à table, et partout un rappel de cette vie enfantine, souriant dans les joujoux qui traînent et les blancs et doux vêtements du premier âge. Mais voici tout à coup sur les tapis et les parquets, l’appui d’un petit pas maladroit, d’abord irrégulier, heurté et qui bronche, puis marquant l’entrain et la vitesse d’une poursuite ou d’un jeu. Vif émoi ! Il marche !

Il marche avec une hésitation de tout l’être, ses petites mains tendues écartées en balancier; et à le surveiller, à le suivre, on sent qu’un être se révèle d’initiative et de volonté allant tout de suite à la lumière, à l’attirante fenêtre où l’espace lui apparaît, la transformation du ciel, le vol des oiseaux; ceci avant la recherche d’un coin préféré ou l’élan vers un jouet qu’il rattrape avec un désir déjà plus rapide que les petites jambes, une fixité du regard, une volonté du but et de l’indépendance.

Un joli mot de mère : « Quand mon fils a commencé à marcher seul, j’ai senti qu’il se détachait de moi. Un coup pénible au cœur, cette première tentative d’éloignement que l’enfant renouvellera plus tard à chaque élan de sa jeunesse… Il s’appuyait aux meubles, s’accrochait à ma robe, puis un jour il se retourne, essaie ses pas tout branlants, s’équilibre, et le voilà parti ! Oh ! j’ai pleuré ! »

Oui, c’est le premier départ et la première imprudence : heurt aux meubles, chutes légères; des cris et d’abondantes larmes en révolte contre la douleur inattendue et la dureté de la vie aux inexpériences; viendront l’adresse, la précaution, les repères choisis pour aller d’ici, là. Et c’est une étape importante dans la vie enfantine, si bien que les mères l’inscrivent dans cette mémoire des menus faits et des dates charmées qui font le divin rabâchage des familles, et que les premiers petits souliers comptent parmi les reliques, plus tard retrouvés et comparés : ceux-là plus larges, plus forts, aux pieds solidement chevillés des fils, ceux-ci plus étroits, délicatement enrubannés pour les fillettes, et tous presque neufs, à peine fanés aux semelles, ayant la destinée de toutes les parures du jeune âge, dépassées vite par la croissance de l’être, car l’enfant pousse et grandit toujours, de matin en matin : c’est son travail et sa loi, écartant et rejetant ses enveloppes successives, montant jusqu’au baiser qui se penchait pour lui.

 

Au moment où elle écrivait ce texte en 1889, Julia Allard avait eu ses trois enfants, ses deux fils et sa fille.

Ce portrait d’elle est une œuvre d’Auguste Renoir (1841-1919). On le retrouve au Musée d’Orsay, une visite obligée si vous allez à Paris. Il apparaît sur la Page Wikipédia consacrée à cette femme de lettres, poète et journaliste.

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