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Vive la Punaise !

Je me rappelle, étant dans notre prime jeunesse, que les copains et moi, à vélo, prenions le traversier de Trois-Rivières à Sainte-Angèle-de-Laval pour aller pêcher de l’autre côté, soit au lac Saint-Paul, soit à la rivière Godefroy. Nous revenions avec de la perchaude et du crapet-soleil. Voilà ici qu’un texte du bi-hebdomadaire Le Trifluvien, du 23 juillet 1890, non signé, emprunté au National, de Lowell, Massachusetts, me ramène soudain plus de 150 ans en arrière !

Il s’intitule «Le bon vieux temps. La Punaise de Trois-Rivières, un petit vapeur extraordinaire. Un voyage périlleux».

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, écrit l’auteur, c’était pendant l’été de 1855. J’étais alors collégien et je passais mes vacances à Trois-Rivières.

Un jour, en me promenant sur le quai un peu plus haut que l’ancien hôtel Farmer, je vis le plus drôle de «Steamboat» que j’ai jamais vu de ma vie. Ce petit vapeur ne portait pas son nom sur la boîte aux roues, mais tout le monde l’appelait la Punaise.

La Punaise était un de ces anciens bateaux qui servent au commerce des pommes, comme on en voit encore beaucoup sur le Richelieu et le St-Laurent. Ce bateau avait été revêtu d’un pont, et avait reçu dans sa cale une machine à vapeur à engrenage comme celle dont on se sert sur nos quais pour décharger les navires d’outre-mer. […] Le bateau à pommes qui avait subi cette métamorphose avait tout au plus 40 pieds de long [un peu plus de 12m] et environ cinq pieds de large [un peu plus d’un mètre et demi].

La Punaise avait des roues à aubes dont l’utilité cessait du moment que le petit navire oscillait le moindrement à droite ou à gauche. Aussi fallait-il voir le soin qu’on apportait à arrimer le fret et à placer les voyageurs à bord afin de préserver l’équilibre.

La Punaise était amarrée au quai par une corde à linge. Elle n’avait ni cloche, ni sifflet à vapeur. Son départ était annoncé par le capitaine, qui embouchait une longue trompette en fer-blanc et faisait entendre une de ces fanfares familières aux oreilles des vaches dans les champs.

L’équipage de la Punaise était composé de deux personnes, le père et le fils, tous deux habillés en droguet avec tous les tenants et aboutissants d’une toilette de cultivateur. Le père cumulait les charges de capitaine, de pilote et de commis; le fils était mécanicien, chauffeur et matelot.

La Punaise faisait le service entre Trois-Rivières et la rivière Godefroi. J’avais six sous dans ma poche et je m’étais dit : «Voilà un petit «steamboat» qui a l’air assez apprivoisé. Si je faisais un voyage dessus !» Je m’approche du capitaine et je lui demande s’il y avait moyen de faire avec mes six sous un petit voyage de plaisir sur son bateau. Le commandant de la Punaise prit mon argent et me dit d’embarquer sans perdre de temps.

Le bonhomme fit raisonner sa trompette une troisième fois, sauta sur son navire et se mit à la barre. Son fils, armé d’une gaffe, éloigna du quai la proue de la Punaise. Le capitaine, après avoir recommandé plusieurs fois à ses voyageurs de ne pas bouger de leur place, donna de vive voix à son fils l’ordre de faire machine en avant :

Envoie encore un peu ! Arrête ! Recule un peu ! Arrête, envoie en avant ! Envoie fort !

La Punaise s’avançait au large.

 

La traversée ne pourra être que de tout repos. La distance est fort courte entre les deux rives. Par temps calme, en chaloupe à rames, on met tout au plus 45 minutes pour aller d’une rive à l’autre. Mais diable, dans le titre de l’article, on ne manque pas de rajouter «Un voyage périlleux» ! Qu’est-ce donc ?

Retrouvons-nous demain pour la suite.

Comme il n’existe pas d’illustration de la Punaise, j’ai pensé qu’une humble feuille flottante pouvait la représenter avec justesse.

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