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Plaidoyer en faveur de l’archéologie pour la connaissance des peuples anciens

À la fin du 19e siècle, l’archéologie est une discipline qui n’a pas encore franchement trouvé sa place. Elle se cherche. Ou mieux, elle est pour l’instant inexistante. On parle d’antiquité et non d’artefact ce qui peut être trouvé dans un contexte archéologique, et d’antiquaires ceux qui les collectionnent. Et on n’a pas imaginé encore qu’on puisse fouiller rationnellement et avec méthode un site archéologique.

Par ailleurs, en 1888, on sait que, dans quatre ans, il faudra célébrer le 400e anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. La Commission de commerce du gouvernement des États-Unis projette une exposition permanente des Amériques à Washington. Aussi demande-t-elle une réflexion sur le sujet au major John Wesley Powell (1834-1902), deuxième directeur de l’United States Geological Survey et directeur du Bureau d’ethnologie de la Smithsonian Institution. Celui-ci avance une réflexion intéressante pour l’époque et importante pour l’histoire de l’archéologie sous le titre «Antiquités américaines». Le journal Le Canadien, de Québec, reproduit cet extrait de son rapport le 23 octobre 1888.

 

Célébrer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, c’est célébrer l’un des plus grands événements de l’histoire de l’humanité. Mais il ne m’appartient pas de parler des résultats pour la civilisation de l’Exposition projetée ni de l’importance de l’anniversaire; il ne m’appartient pas même de montrer qu’une telle célébration serait appropriée d’une manière remarquable au peuple qui a surtout profité de la grande découverte scientifique. Mais il m’appartient de montrer comme la grande Exposition qui se prépare peut être rendue instructive et intéressante pour le peuple, en faisant une exhibition de l’archéologie du Nouveau-Monde.

Les débris des siècles passés ont été longtemps regardés comme sans valeur, sans beauté, voir même comme repoussants; mais, enfin, le temps est venu où ces restes de l’homme inculte sont considérés par les esprits les plus éclairés comme des reliques sans prix de l’antiquité. Les ruines d’une ancienne cité auxquelles on ne prêtait aucune attention il y a une dizaine d’années sont maintenant, grâce à la marche de l’investigation moderne dans l’histoire et dans la croissance de la culture humaine, transformées en trésors que convoitent les nations; et, partout, dans le monde entier, des hommes civilisés sont occupés à faire sortir des ruines des anciennes cités les trésors de l’histoire.

Des sociétés sont organisées pour la recherche de ces matériaux : des collèges, des universités les recueillent, et les bibliothèques publiques s’enrichissent chaque jour de quelques nouveaux livres sur cette nouvelle science.

Les événements de l’histoire rapportés par les écrivains contemporains sont remplis de préjugés, quand ils ne sont pas défigurés par l’ignorance; mais les annales conservées, grâce aux vestiges impérissables des monuments des hommes, ne sont altérées par aucune mauvaise inspiration; elles disent la vérité et ne disent que cela.

Autrefois, l’histoire était un champ ouvert à l’imagination littéraire; aujourd’hui, l’histoire résulte de profondes investigations.

L’histoire est devenue une science, parce qu’elle est fondée sur l’archéologie. C’est ainsi que les ruines d’un temps, une tour ensevelie sous ses propres débris, une inscription sur un roc, une lance de bronze, un couteau de pierre, un fragment de vase ont une valeur immense. Un monument devient ainsi un livre d’histoire, une cité en ruines une vaste bibliothèque.

Les peuples que trouva Colomb en Amérique, tribus de sauvages et de barbares, se sont rapidement fondus avec les peuples civilisés. Leur histoire était écrite; leurs artisans, leurs guerriers, leurs hommes d’État et leurs poètes sont maintenant oubliés; mais les vestiges de leur histoire, leurs annales archéologiques sont dispersés au loin. On les trouve ensevelis sous les ruines des villes et des villages couverts par de nombreux monticules de sable où s’élevaient autrefois leurs lieux de conseil, les temples de leurs dieux et les cimetières de leurs morts; on les trouve dans les tombeaux aux murs de pierre, dans les innombrables débris des cuisines de l’homme sauvage, dans chaque champ où passe la charrue, sur chaque colline, sur chaque montagne. Ce sont les sources où il faut puiser si l’on veut reconstruire l’histoire de l’Amérique.

La richesse et la variété des matériaux de cette histoire sont fort appréciées. Les peuples qui habitaient le continent américain avant sa découverte appartenaient à plusieurs races. Rien que dans l’Amérique septentrionale, il n’y avait pas moins de soixante-quinze familles différentes ayant des idiomes entièrement distincts, des dieux complètement différents, des institutions indépendantes et des arts multiples et variés. […]

Quelques races se livraient à la chasse, d’autres à la pêche, quelques-unes à l’agriculture. Les unes adoraient le soleil, la lune et les étoiles, ainsi que les points cardinaux; les autres faisaient des montagnes et des rivières leur principale adoration; toutes comptaient parmi leurs dieux les bêtes mythologiques les plus étranges.

Toutes ces tribus étaient organisées en sociétés politiques, mais leur mode d’organisation était varié. […]

Partout, les tribus savaient se servir de signes pour écrire et raconter les événements au moyen de dessins représentant les hommes et les animaux, et de signes conventionnels.

Elles savaient également fabriquer des ustensiles et des outils en pierre, en os, en écaille, en corne et en bois, construire des canots et des radeaux avec de l’écorce et des troncs d’arbres, et parcourir les rivières, les lacs et les mers sur des esquifs fabriqués avec des peaux de bête.

 

L’illustration est celle des fondations des maisons Guillaume-Gaillard et Jean-Soulard au pied de la côte de la Montagne, à Québec.

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