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De la folie (première partie)

L’histoire de la santé, quel domaine passionnant ! Même en s’y mettant à plusieurs, nous n’en viendrions pas à bout avant plusieurs années. Ce site-ci compte 201 articles où le monde de la santé est évoqué sous un angle ou un autre.

Voilà que, le 13 août 1887, dans Le Monde illustré, le journaliste Léon Ledieu consacre un long article à la folie. Perdons-nous y.

Le traitement raisonné de la folie est d’origine récente, car il n’y a pas encore un siècle que les malheureux insensés étaient traités comme des brutes, chargés de chaînes, frappés presque constamment et regardés comme des bêtes fauves.

C’est à un Français, au Dr Pinel, que l’on doit la grande révolution opérée dans le mode de soigner les fous.

«L’année 1892, dit Buckwill, sera toujours mémorable dans l’histoire du traitement de la folie. C’est en cette année que le célèbre Pinel brisa les chaines dont on avait chargé les patients de l’hôpital Bicêtre.»

Cet événement est resté, en effet, l’un des plus mémorables de l’histoire de l’humanité, car en rompant les chaînes de ces malheureux, il brisait en même temps avec un passé honteux, pour inaugurer tout un nouveau système basé sur la raison et la douceur.

Les résultats étonnants qu’il obtint firent grand bruit et, malgré les orages et les guerres qui bouleversaient alors l’Europe, toutes les autres nations s’empressèrent d’adopter les réformes introduites en France dans les asiles des aliénés. […]

Nous avons, dans notre province de Québec, deux grands établissements consacrés au traitement des aliénés, l’Asile Saint-Jean-de-Dieu, de la Longue-Pointe, et la Maison de Beauport. Je ne vous parlerai que du premier que j’ai visité la semaine dernière. […]

C’était la première fois que je mettais le pied dans un établissement de ce genre, bien que l’occasion de le visiter se fut présentée plus d’une fois, mais j’éprouvais une sorte de crainte, d’effroi et de répulsion qui saisit quand on sait que l’on va voir de près un des côtés les plus tristes de l’humanité. C’est ainsi que nous ressentons une certaine émotion quand on nous parle de visiter une prison ou un hôpital.

Bien des fois, en passant sur la route, j’avais jeté les yeux sur cet immense établissement, dont les proportions énormes, les pavillons élevés, les splendides jardins et l’avenue magnifique éveillent l’idée d’un château royal, résidence d’été d’un souverain.

C’est mieux que cela, c’est le palais du travail et du dévoument [sic].

* * *

On commence immédiatement :

Voici la pharmacie : elle se compose de deux salles, y compris le laboratoire; le docteur Bourque nous fait observer que tous les bocaux, deux ou trois cents, ont été lettrés par un malade. L’ouvrage est très élégamment exécuté. Dans un coin, j’aperçois une bibliothèque qui renferme les ouvrages les plus estimés sur le traitement de la folie, — une centaine de volumes qui contiennent les travaux de vingt hommes éminents. Dans une armoire, un écorché, système du docteur Auzou et des pièces anatomiques très bien peintes par un patient.

Ces travaux, exécutés par des pensionnaires de l’établissement, sont très utiles aux malades, ils comprennent que leur état s’est amélioré quand on leur donne quelque chose à faire et ils peuvent suivre ainsi les progrès de leur guérison. Mais il faut prendre les plus grandes précautions, ne pas les fatiguer et éviter toute tension du cerveau. Très peu de patients sont du reste susceptibles de se rendre véritablement utiles, et ceux qui ont exécuté les travaux que je vous signale font exception à la règle générale.

* * *

Nous parcourons différentes salles, des parloirs, des réfectoires, nous voyons des chambres de malades, pensionnaires privés et demi pensionnaires et, à chaque appartement, nous nous arrêtons étonnés et toujours la même exclamation se fait entendre : «Quelle propreté ! quel ordre !!» […]

À force de voir ces salles à manger et ces dortoirs, je me demande quand nous en finirons et je m’en informe près de la Sœur Supérieure.

— Oh ! nous ne faisons que commencer, me dit la Sœur Thérèse, nous avons cinquante six salles à manger et deux cent seize dortoirs. […]

Je questionne de nouveau et j’apprends que quatorze cent onze personnes vivent dans l’asile. […] Pour nourrir tout ce monde, on cuit tous les jours trois cent cinquante pains de six livres, on consomme un bœuf et demi, trois ou quatre veaux et quatre ou cinq moutons.

Et cela sans compter les légumes. J’ai vu entrer dans les cuisines des tombereaux pleins de pommes de terre, de concombres, de choux, carottes, navets, etc., etc.

Et cela recommence tous les jours, et, le soir, tout est digéré.

On brûle seize cents tonnes de charbon par an. La ferme comprend huit cents arpents de terre. Il y a soixante vaches, vingt-six chevaux, cinq cents moutons, deux cents porcs, etc. Je m’y perds

Et toute cette vaste exploitation, cet immense établissement, cette armée de malades, tout cela est dirigé par une femme !

 

Cette femme est religieuse, Sœur Thérèse, «supérieure de la communauté».

La suite : demain.

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