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Le cirque est en ville !

Mais, après son passage, Léon Ledieu déchante dans Le Monde illustré du 21 août 1886. Et quelle plume !

Près de cent mille personnes sont allées au cirque la semaine dernière, pour voir des gymnastes gonfler leurs biceps, des écuyères montrer leurs mollets, les chameaux faire admirer leurs bosses, les lions promener leur ennui dans une cage de quelques pieds, les éléphants exhiber leur peau malpropre, et généralement toutes sortes de bêtes à deux ou quatre pattes, étaler leurs monstruosités ou leurs excentricités.

Le matin de l’arrivée du cirque, tout Montréal était dans la rue afin de voir la grrrrrande cavalcade, annoncée à grand renfort d’affiches, placards coloriés, réclames dans les journaux et musique dans les rues.

On a vu arriver des gens de quinze ou vingt lieues pour assister à ce spectacle, le plus beau des temps anciens et modernes, si l’on en croit l’affiche.

La réalité n’a pas été cependant à la hauteur des peinturlures et des annonces.

* * *

Le matin, je remarquai de braves gens en extase devant une affiche immense, colossale, couvrant tout un pan de mur, sur laquelle on voyait des hommes bleus, montés sur des chevaux verts, galopant dans une arène rouge qui se détachait sur fond jaune.

Les hommes bleus exécutaient des tours invraisemblables, dans lesquels toutes les lois de la physique et de l’anatomie étaient outrageusement négligées, et j’entendis ces naïfs se demander l’un à l’autre si, bien vrai, les saltimbanques faisaient tout ce qui était représenté sur le papier.

L’un d’eux, qui avait été loin, aux États-Unis, si loin, tellement loin qu’un pas de plus il serait tombé dans rien, prit la parole et dit à ses compagnons que tout cela n’était que la farce et que les Américains, en Amérique, faisaient des choses bien plus fortes, et que ces tours qu’ils admiraient tant n’étaient que du ressort des enfants, des petits apprentis…

Il allait peut-être en dire plus long, quand des bruits de cuivre ébranlèrent l’atmosphère.

C’était la grrrrrande cavalcade !

Les fiers chevaliers, bardés de fer, dont les cottes de mailles brillent le soir aux mille étincelles des étoiles de gaz et des gerbes de rayons de lampes électriques, faisaient piètre figure au grand jour. Ils avaient l’air bien piteux dans leurs oripeaux aux couleurs mangées par le soleil.

Les amazones étaient bien pâles sous leur épaisse couche de fard, mais… chut, ce sont des dames, et nul n’a le droit d’en médire.

Les pauvres diables qui conduisaient les voitures semblaient tomber de sommeil et regardaient la foule ébahie d’un œil terne, en ayant l’air de dire : «Que les badauds sont donc nombreux, on voit bien que ces gens-là ne connaissent pas l’envers de nos existences.»

Le char d’or de Cléopâtre n’était qu’une sinistre mascarade, qui n’avait rien d’égyptien.

Puis venaient le défilé des petits et grands fauves des jungles, et enfin un autre corps de musique qui ne valait certes pas celui de la Cité ou de l’Harmonie. […]

* * *

Pendant quatre représentations, les tentes du cirque regorgèrent de monde, et le lendemain les journaux qui avaient fait le plus de réclame en faveur de ces jeux, s’écriaient d’un ton larmoyant : «Le cirque nous emporte trente mille dollars ! de quoi faire ceci, de quoi faire cela ! On devrait augmenter la taxe que la corporation leur impose !»

Il est un peu tard de se plaindre qu’il y a trop de monde dans la maison, quand on en a ouvert la porte soi-même et qu’on a excité les gens à y entrer, mais, enfin ! mieux vaut tard que jamais.

 

Si l’histoire du cirque vous intéresse, il y a maintenant sur ce site 25 articles.

La photographie est parue dans L’Album universel du 5 août 1905. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Cirque».

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