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La mise en terre des morts de l’hiver

En 1900, il y a de ces moments printaniers dont il faut bien parler, quoique tristes. Pendant l’hiver, la mort a réclamé son tribut. Alors, on plaçait les défunts dans le charnier. Le printemps venu, la terre dégelée, il faut maintenant ensevelir les morts. Dans les villages, l’opération est modeste; mais, à Montréal, elle est de grande envergure. Les tombes portent même un numéro.

Dans La Patrie du 2 mai 2004, Madeleine consacre sa chronique à cet événement. Attention, tristesse.

Les adieux printaniers qui se pleurent dans les cimetières, à l’instant où la terre se réveille de son sommeil hivernal pour réclamer les victimes de la saison des neiges, oh ! ces adieux qui n’en a vécu la suprême amertume.

Vous avez déjà monté le calvaire, vous avez mis dans la sombre maison d’hiver des nécropoles, cette chère dépouille d’un être adoré, vous avez éprouvé le frisson suintant des murailles funèbres, et longuement votre cœur a frémi; voilà que vous remontez encore une fois le douloureux calvaire; vous vous frottez aux mêmes brutalités; vous agonisez les mêmes martyres !

Pauvres vivants, ce n’est pas toujours vous que l’on plaint, vous les éternels à plaindre !

Parfois, la nature rieuse, en pleine joie, se rit de notre douleur, mais, hier, a-t-elle voulu se faire sympathisante sur les fosses fraîches qui, lamentables, attendaient le douloureux dépôt ? Est-ce que l’on sait jamais la pensée qui se dérobe au sein des bourgeons naissants, derrière les sourires d’un soleil rajeuni…

La pluie pleurait, elle tombait doucement, comme si elle voulait prêcher la résignation sainte. Et, dans les allées funèbres, une sombre procession pleurait, pleurait avec la pluie !

Il y avait là des pères, des mères, des frères, des sœurs, des enfants, des époux, des amis, il y avait là tout le monde triste de la grande ville ! Et chacun s’empressait auprès du cercueil retrouvé, parfois les yeux embués, quelqu’un se heurtait à une pauvre «boîte» étrangère, et presque honteux d’égarer son chagrin, il se mettait bien vite à rechercher de nouveau le fatal numéro !

Oh, ces chiffres-là ce qu’ils disent de tristesse !

Les hommes noirs allaient et venaient, essoufflés, affairés, ennuyés, et, en les voyant pencher vers le cercueil de celui ou celle que l’on pleurait, le cœur éprouvait la douleur d’une profanation. […]

Sous la pluie inlassable, le déménagement mortuaire se fait, et, dans les fosses humides, on transporte nos pauvres partis. Un à un, ils s’en vont, escortés par les familles en deuil; quelques-uns, hélas ! sont presque seuls; un homme suit la tombe d’un pas pressé. On sent que celui-là accomplit un rude devoir, et que son cœur est absent tout aussi bien que sa pensée. Alors, notre sympathie va à ce mort esseulé que l’on jette en terre, sans regrets, sans pitié. Il doit être bien triste de dormir là, dans une grande fosse froide, sans avoir reçu l’accueil tendre. […]

Oh la navrance des adieux printaniers !

 

Ci-haut, la façade du charnier du cimetière de la paroisse Sainte-Famille de l’île d’Orléans.

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