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Pourquoi ne pas encourager la vie de colon ?

Régulièrement dans la presse québécoise de 1900, devant la désertion des campagnes au profit des villes, devant les départs vers les provinces de l’ouest ou la Nouvelle-Angleterre, on lance des appels à la colonisation des terres neuves au Québec.

Voici un chroniqueur, au pseudonyme de Jacques Cœur, qui se joint au concert d’appels le 10 novembre 1898 dans l’hebdomadaire La Défense publié à Chicoutimi, au Saguenay bien sûr.

 

Il y a des mots qui, une fois lancés, font fortune; ils volent de bouche en bouche, s’exhibent sur toutes les affiches, pénètrent au fond des campagnes les plus reculées, s’installent sous tous les toits, élisent domicile partout. C’est ainsi qu’à Saint-X, petit «poste» situé à quelques 20 milles d’ici, au pied des montagnes bleues, on parle d’éducation pratique, tout comme à Montréal et à Chicoutimi.

Vous ne connaissez pas Saint-X ? Tant pis. C’est un des plus beaux pays du monde : pays de pêche et de chasse, où les truites sont aussi grosses que les saumons, les perdrix aussi nombreuses que les moineaux dans les rues de la tranquille et débonnaire ville de Québec; pays couvert de riches forêts, sillonné de rivières et parsemé de lacs aux eaux pures comme du cristal. Ce pays de cocagne des sportsmen est habité par une population d’environ 60 à 80 âmes, braves gens, d’humeur paisible et gaie, modérés dans leurs désirs, libres comme le poisson de leurs lacs et comme le gibier de leurs montagnes, ne connaissant d’autre joug que celui du Seigneur, d’autre code que celui du braconnier.

Les seuls édifices publics du «bourg» de Saint-X sont une chapelle et une école, l’une et l’autre très petites et très pauvres, suffisantes en tous cas pour que les enfants apprennent à lire et que tous aillent…

Dans son temple adorer l’Éternel.

Je voudrais pouvoir ajouter qu’avec tous ces avantages les habitants de Saint X sont les plus heureux des hommes, de même que leur pays, très riche en poisson, en gibier, en essences forestières, en terres fertiles, peut-être en mines d’or et d’argent, est le plus fortuné du monde.

Il n’en est rien cependant, tant il est vrai qu’il n’y a pas de bonheur parfait ci-bas.

Que leur manque-t-il donc, aux libres et indépendants habitants de Saint X ? Il manque à leurs enfants une éducation pratique. C’est du moins ce que me disait l’un d’eux tout dernièrement. Et le bonhomme n’avait peut-être pas tort.

« Voyez-vous, me disait-il, ces robustes garçons ? Eh bien, il n’y a pas moyen de leur mettre dans la tête cette idée si simple que le meilleur moyen de se tailler un domaine dans la forêt est encore, comme autrefois, d’abattre les arbres et d’arracher les souches. Toute leur activité s’exerce à chasser et à pêcher, et, parvenus à l’âge d’homme, ils nous désertent pour aller travailler dans les chantiers ou dans les manufactures. Voilà pourquoi nos terres restent au point où nous les avons laissées. La faute, monsieur, en est à l’éducation, qui n’est pas pratique. »

Je soupçonne mon brave ami d’avoir puisé, sinon l’idée, du moins le mot dans quelque journal à réformes. Mais enfin n’y a-t-il pas du vrai dans ce raisonnement ? Sans doute, à l’école de Saint-X, comme dans toutes les autres écoles de la Province, on apprend aux enfants à lire, à écrire et à compter, on leur enseigne fort bien le catéchisme, et cela ne laisse pas que d’être pratique, assurément. Mais si ces enfants fréquentent encore l’école après leur première communion [on fait alors sa première communion à l’âge de 12 ans], on n’en restera pas là, et, à moins qu’on ne renonce à appliquer le programme des études, on bourrera leur mémoire de notions d’histoire et de géographie universelles, de dessin, de toisé, d’hygiène etc., etc. En sorte que les robustes gaillards de Saint-X, destinés à labourer la terre, seront instruits comme de petits citadins, ayant étudié dans les mêmes livres, suivant les mêmes méthodes.

Est-ce pratique cela ? Non. […] Pourquoi donc tant de jeunes gens de nos campagnes prennent-ils en si profond dégoût la noble profession de leurs pères et passent-ils invariablement les meilleurs années de leur vie en service dans les grandes villes du pays ou à l’étranger ? […] C’est en bonne partie parce qu’on ne leur a pas appris de bonne heure à calculer ce que peuvent rapporter un jour, une semaine, un mois consacrés à abattre des arbres, à arracher des souches, à creuser des fossés.

 

À la lecture de semblables textes, j’ai toujours pensé que ceux-ci avaient été écrits par des hommes qui n’avaient absolument aucune idée de ce qu’est abattre des arbres, arracher des souches, creuser des fossés.

Le texte est signé Jacques Cœur. Je ne connais qu’un seul auteur qui utilisait le pseudonyme de Jacques Cœur, Louis Dupire. Mais il ne pourrait pas s’agir de lui. Ce Louis Dupire, né en Bretagne en 1887, entreprend une carrière de journaliste au Québec en 1912.

La belle image ci-haut provient d’un de ces deux albums que me prêtait mon bouquiniste Michel Roy et dont je vous parlais le 27 août 2011. J’ignore le nom de cette église de campagne près de Chicoutimi.

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