Skip to content

Le temps d’hier (troisième partie)

Dernière partie du texte de celui ou celle qui signe A. B., une publication commencée avant-hier, portant sur des manières de vivre dans les campagnes en aval de Québec au milieu du 19e siècle. Paru dans La Patrie du 19 novembre 1892.

 

Dans plusieurs paroisses, surtout sur la côte du Nord et toujours en aval de Québec, les enfants ne mangeaient pas à la table de leurs parents avant d’avoir fait leur première communion [on faisait cette première communion à 12 ans]; c’était une espèce de récompense pour ce grand acte dans notre vie, pour ce jour inoubliable que le fameux Napoléon considérait comme le plus beau des souvenirs de sa vie glorieuse et agitée.

À l’un des bouts de la «table des grands», se tenait le père de famille, ayant tout près de sa gauche un de ces énormes pains cuits sur l’âtre des fours de terre de l’époque et dans lesquels on faisait une cuite d’une semaine. Le pain ne s’entamait pas par le chef de famille, avant qu’il eût fait une croix sur la partie la plus dure avec son couteau, qui n’était souvent qu’un couteau de poche. Avant de se faire la barbe, le dimanche au matin, il faisait aussi, avec son rasoir, un grand signe de croix sur sa personne, dans le but évident d’obtenir de ne pas se faire d’entaille au visage.

* * * *

Les rendez-vous amoureux étaient alors à peu près inconnus; c’était sous l’œil vigilant de la mère que se faisaient les fréquentations. Le dimanche, après les vêpres, était le jour favori et, assez souvent, le jeudi soir.

Vers 4 heures, le dimanche après-midi, le faraud arrive comme un trait à la porte de son amoureuse. Son cheval, attelé à une petite charrette ou cabrouet (voiture légère à deux roues), est couvert d’écume et atteste l’empressement qu’avait le galant campagnard à revoir sa «blonde». Celle-ci est à la fenêtre depuis longtemps en attendant que son ami arrive; elle l’a même vu venir sur la route qui conduit à la maison de son père à elle; Mais, avec cette diplomatie inhérente à la fille d’Eve, elle manifeste une grande surprise, tout en s’épanouissant de son plus beau sourire.

Le faraud, après avoir attaché son cheval fringant à un piquet de la clôture du jardin potager situé à quelques pas de la maison, entre, le sourire aux lèvres, dans l’humble demeure où il sait d’avance qu’il sera bien accueilli. Il salue profondément le père et la mère d’abord, puis son amoureuse, qui, rouge comme une pivoine, lui répond par une bouche en cœur des plus aimables.

Après avoir épuisé tous les lieux communs sur le beau ou le mauvais temps, sur l’apparence de la moisson, etc., le faraud se lève solennellement, s’avance vers le père de la jeune fille et dit : «Monsieur, j’peux t’y avoir l’honneur d’accoster (quelquefois on disait aborder, autre terme marin) votre fille et de lui parler en particule (en particulier). — Sans doute, monsieur, répond le père. Alors l’amoureux s’avance vers sa blonde, lui prend la main et se dirige avec elle sur un des grands coffres de bois placés dans chaque angle de la pièce. Là, on roucoule, on répète l’histoire aussi ancienne que le monde, mais toujours nouvelle, on se fait l’amour, en un mot avec des yeux en coulisse attendrissante, et tout cela en présence des «bonnes gens», occupés à une conversation moins brûlante.

À l’approche de la brunante, le garçon fait mine de vouloir se retirer; mais son cheval est déjà «dedans», et on le décide à passer la veillée; il s’attendait, d’ailleurs à cette invitation et aurait été grandement désappointé si elle n’eut pas été faite.

On soupe; le faraud est à côté de sa belle et cause avec entrain.  De temps à autre, il offre à celle-ci soit du pain, ou de la fricassée, ou du beurre. À chaque fois, elle répond : «Merci ! J’ai le bras assez long pour en aveindre.»

Après le souper, on fait la partie de cartes; on joue à la brisque, ou au major, ou à la crêpe, vieux jeux qui se jouaient, dit-on, dans l’arche de Noé, mais qui n’en intéressaient pas moins nos pères. Le prétendant, naturellement, joue avec sa «prétendue», car il n’y a pas d’autre concurrent pour lui faire «manger de l’avoine», expression reçue pour dire que l’amoureux en titre s’est fait supplanter temporairement. Avant de s’approcher de la table de jeu, il a bien poliment prié la demoiselle de se mettre au «panneau» avec lui. Le panneau était une table ronde servant de large fauteuil au moyen d’une rainure permettant de la faire glisser à une des extrémités et de l’y renverser à angle droit pour servir de dossier au fauteuil facilement improvisé.

C’est ainsi que nos pères faisaient leurs amourettes, et lorsqu’ils étaient mariés, ils ne se sauvaient pas loin de toutes les connaissances, comme s’ils eussent fait un mauvais coup.

* * * *

Une autre coutume, et c’est la dernière que je rapporte, était celle-ci. Un enfant que l’on accusait de mensonge avait à souffler dans le canon d’un fusil qui devait de toute nécessité lâcher son coup dans la bouche du coupable. Malheureux fusil, souvent sans «plaque», quelles transes mortelles n’as-tu pas causées à notre naïveté d’enfant, mais aussi que d’aveux tu as reçus de la part des menteurs, qui préféraient dire la vérité plutôt que de s’exposer au danger de ta gueule formidable !

A. B.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS