Skip to content

La naissance des trompe-la-mort

Parfois, je me demande si les « sports extrêmes » ne sont pas nés au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Et à lire les journaux du début du 20e siècle, ça se poursuit, certains commencent à jouer drôlement avec leur espérance de vie. Vous vous souvenez de cette dame, Anna Edson Taylor, qui, à 62 ans, en octobre 1901, enfermée dans un tonneau, s’est tirée en bas des chutes Niagara.

Voici maintenant qu’un Américain fildefériste du nom de James Hardy s’amène à Québec en 1905 pour franchir dans les airs la chute Montmorency. L’Album universel du 1er juillet 1905, raconte l’événement.

 

Les exploits fameux de [Charles] Blondin, qui le premier a bravé le gouffre des chutes Montmorency, en voyageant sur un fil de fer tendu au-dessus des eaux, ont chatouillé longtemps l’amour-propre des Américains, qui désespéraient de voir paraître un rival, capable d’aller disputer au Canadien son plus beau titre de gloire. Les records établis par notre champion, roi de l’air, sont restés inattaquables et inattaqués jusqu’ici.

Seul il a connu l’émotion de se balancer au-dessus de l’abîme des chutes Niagara, dont le spectacle naturel terrifiant est capable de donner le vertige à quiconque s’en approche un peu trop, et ceux qui ont été témoins de ce coup d’audace n’oublieront jamais le spectacle de cet homme, éludant avec la légèreté d’un oiseau qui vole, le danger que représentait le sinistre tourbillon rageant au-dessous de lui, comme furieux de ne pas pouvoir atteindre sa proie.

Celui du Niagara a été, sans conteste, le plus téméraire exploit tenté par le fameux Blondin, mais il a maintes fois renouvelé l’expérience du Sault Montmorency. Les représentations que donnait périodiquement Blondin à cet endroit constituaient même l’une des plus belles attractions de Québec, dont la population raffolait.

C’est du reste un phénomène psychologique des plus curieux que ce besoin de la foule d’assister à des spectacles, où, sous prétexte de l’amuser, un homme s’expose délibérément à un grave péril. C’est à croire qu’avec le raffinement de notre civilisation, les « spectacles de mort » sont devenus un besoin, de même qu’ils constituent un art nouveau non dépourvu d’agrément, par les sensations fortes qu’il fait naître. Le siècle a créé le « loop the loop », les courses d’automobiles sur terre et sur mer, etc., tous ces sports dangereux, où la mort s’associe au héros de l’aventure et fait route avec lui.

Le danger d’autrui est pour notre sensualité un aliment déprimant à l’extrême, et on le recherche. On aime le mauvais frisson qui vous coupe les muscles, lorsqu’un pauvre diable est entre la vie et la mort, mais dont le risque constitue toute la représentation. Ce goût, n’est-ce pas de la sauvagerie ? À coup sûr, c’est de la cruauté.

Mais trève de considérations psychologiques, et revenons à nos exploits sur fil de fer, tendu au-dessus des eaux bouillonnantes d’une cataracte.

Si Blondin reste encore le champion, il a du moins un rival. Ce rival est un Américain, qui, entre parenthèses, porte un nom prédestiné : [James] Hardy. Hardi ! il l’est, et il vient de le prouver.

Les figures qui accompagnent cette chronique nous représentent Hardy exécutant au-dessus des chutes Montmorency son périlleux voyage aérien. Armé de sa longue perche, qui l’aide à maintenir son équilibre, Hardy vient de quitter le sommet de la grosse tour, où le fil de fer est solidement fixé, et, gracieux, sans souci du grondement étourdissant des flots qui se précipitent dans l’abîme, il s’achemine vers l’autre rive. Au milieu, surplombant le gouffre, il s’arrête.

À terre, les témoins de sa bravoure respirent à peine et ne perdent pas un mouvement de l’homme qui leur apparaît, là-haut, grand comme ça. Soudain, ils applaudissent. L’homme vient de fléchir le genou et se relève lentement. Le moment est solennel. Le moindre éblouissement, un faux mouvement, et c’est est fait de l’audacieux mortel, que la mort guette.

Mais non, Hardy est déjà reparti et bientôt il sera sur la rive opposée, d’où il reviendra triomphant, accomplissant au retour le même tour de force qu’il a accompli une fois en allant.

La troisième gravure, en même temps qu’elle indique la position exacte du fil aérien au-dessus des flots, nous montre la chute Montmorency dans toute sa sauvage grandeur. Merveilleuse nappe d’eau tombant tout d’un jet d’une hauteur de 240 pieds, pour aller se perdre dans un bassin, dont on n’a jamais connu la profondeur.

Qui voudra de nouveau tenter l’aventure ?

 

Selon le Dictionnaire biographique du Canada, ce Blondin évoqué ici n’aurait rien de Canadien. Il s’agirait de Jean-François Gravelet, dit Charles Blondin, équilibriste, né à Saint-Omer, en France, en 1824, et décédé à Londres en 1897.

Les deux illustrations proviennent de l’Album universel du 1er juillet 1905.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS