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Une aventure à haut risque

Pendant de très nombreuses années, je fus un lecteur assidu de l’édition quotidienne du journal français Le Monde. Pour moi, il y avait souvent là une matière que je ne pouvais trouver ailleurs. À l’occasion, je conservais même des articles. Le 5 octobre 1996, voilà une pleine page, réalisée par les rédactions du Monde et de la revue scientifique internationale Nature, que je ne pouvais me résigner à envoyer au recyclage. Je l’ai donc fait laminer pour avoir constamment sous les yeux l’histoire de mon vieux grand-père.

Des trois articles apparaissant dans cette page, le majeur, signé Henry Gee, une sommité anglaise en biologie, s’intitule « La sortie des eaux a été pour la vie une aventure à haut risque ». Hier même, je vous rappelais qu’après des millions d’années dans l’eau, il nous avait fallu un grand effort pour en sortir. Ce premier de deux articles de Gee a pour sous-titre : « Pour coloniser les continents, il y a moins de 400 millions d’années, les tétrapodes, sortes de poissons à pattes, ont délaissé le confort du milieu aquatique pour affronter les effets de la pesanteur et les dangers des rayonnements solaires. »

Gee explique d’abord que nos plus vieux ancêtres sortis de l’eau sont arrivés là par hasard. « Les premiers vertébrés terrestres, les tétrapodes (ainsi appelés parce qu’ils possédaient quatre pattes au lieu de nageoires) étaient des prédateurs aquatiques spécialisés dans la chasse en eau peu profonde. Leurs pattes se sont formées non pour marcher sur la terre, mais plus simplement pour se frayer un chemin dans les mares et les lits des rivières. Par endroits, l’eau disparaissait. C’est alors, et alors seulement, que notre héroïque poisson est sorti de l’élément liquide, affirme un scénario conforté par une série de découvertes récentes faites dans les fossiles du carbonifère. »

Notre grand-père serait sorti à la fin de l’ère dévonienne (-363 à -409 millions d’années), comme le montre Ichthyostega, découvert en 1932 dans la partie est du Groenland. Au 20e siècle, on a trouvé d’autres tétrapodes qui seraient passablement contemporains d’Ichthyostega : Acanthostega, Tulerpeton, Ventastega, Hyperpeton et Panderichthys. L’Eusthenopteron foordi, lui, dont on a découvert les fossiles dans les falaises de Miguasha, en Gaspésie, est un poisson à nageoires lobées antérieur aux tétrapodes.

Mais pourquoi quitter les eaux ? Gee écrit : « La vie aquatique a beaucoup d’avantages. L’eau n’est ni trop froide, ni trop chaude. Elle annule les effets implacables de la pesanteur et on y flotte sans effort. Les gaz et la nourriture qui permettent la vie se dissolvent facilement dans le milieu liquide et facilitent ainsi l’alimentation et la respiration. La reproduction y est aisée, car il suffit de libérer du sperme et des œufs et de laisser agir le milieu. »

« Pourquoi alors, se demande Gee, chercher quand même à mener une pauvre existence sur une terre où, en quelques minutes, le Soleil brûle un organisme sans protection ? Où la pesanteur rend chaque déplacement pénible ? Où respirer exige des efforts ? Où se nourrir et s’accoupler en réclament de plus importants encore ? La réponse est désespérément simple : parce que c’est là. Rien n’arrête en effet les êtres vivants dès lors qu’il s’agit de conquérir un milieu non régi par la compétition. Et, dans ce domaine, la terre ferme a fourni à la vie une formidable occasion d’évoluer et de se diversifier loin des mers surpeuplées. »

Bien sûr, sans le savoir, cette formidable bête à quatre pattes, qui sortait enfin des eaux, portait sur elle les ancêtres des amphibiens modernes, les premiers représentants de la lignée qui devaient plus tard mener aux reptiles, aux dinosaures, aux oiseaux et aux mammifères, au sein desquels, soudain, il y a quelques millions d’années seulement, nous voilà !

Source de l’illustration du Ichthyostega : http://www.flickr.com/photos/71182425@N06/6788235503/

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