Brunes et blondes
Mesdames, une mise au point d’abord, ne vous choquez pas. Je comprendrais que vous puissiez dire « Quelle perte de temps que de nous servir un texte pareil ! » Mais, si vous fréquentez ce site depuis un moment, vous savez qu’il y a tout un volet où nous sommes ensemble non pas à juger d’abord avec notre tête d’aujourd’hui, mais à regarder d’où nous venons, ce qui préoccupait, ce que débattaient les populations d’il y a plus de 100 ans.
Dans La Patrie du 17 juin 1905, par exemple, un certain Max O’Rell y va d’une longue réflexion sur les brunes et les blondes, que le quotidien montréalais juge bon de reproduire. Selon internet, ce O’Rell serait Léon-Paul Blouët (1848-1903), fort connu en 1900, semble-t-il, aujourd’hui absolument disparu, qui enseigna à Londres et fut journaliste et auteur humoriste sous ce pseudonyme. Voici ce texte portant le titre Brunes et blondes :
La femme idéale des peintres est blonde.
Ève, Vénus, Hélène de Troie, toutes les beautés célèbres de l’antiquité et de la mythologie sont blondes.
Cléopâtre elle-même l’a échappé belle. Si son caractère altier n’avait pas été décrit par les historiens avec autant de précisions, elle eut pu être transmise à la postérité sous les traits d’une blonde. La douceur est toujours accompagnée dans l’imagination par des cheveux blonds, et c’est pourquoi le Seigneur lui-même est ainsi représenté, bien qu’il appartînt à une race qui n’a jamais produit que des bruns à la peau basanée.
La blonde a la peau douce et blanche, les yeux bleus ou gris clair. Sa beauté suggère à l’imagination la possession de toutes les qualités féminines et va droit au cœur du peintre. La blonde est la femme par excellence.
La femme aime un front élevé chez l’homme, parce que cela lui suggère l’intelligence, la force et la volonté. L’homme aime un front bas chez la femme, non pas certes qu’il méprise l’intelligence chez la femme, mais parce que ce front bas lui suggère la douceur, la soumission et l’obéissance. Les femmes sont tellement persuadées qu’un front bas leur sied mieux qu’un front élevé, qu’elles ramènent toujours leurs cheveux sur le devant à la hauteur de leur front. Je ne parle pas des avocates des droits de la femme qui se renvoient généralement les cheveux en arrière, probablement pour nous prouver que la femme est libre et qu’elle a le droit de s’enlaidir si cela lui plaît.
La blonde s’adresse à l’imagination, au cœur, à l’âme, tandis que la brune s’adresse plutôt aux sens. Il est admis, du moins supposé, que la blonde est sentimentale, modeste, obéissante, angélique, et que la brune est fière, orgueilleuse, passionnée, altière, volontaire. Voilà pour la fable. Dans la réalité, j’ai connu des brunes qui étaient des anges et j’ai entendu parler des blondes qui étaient de parfaits démons.
Si le choix était offert, la plupart des femmes demanderaient à être blondes, et la preuve en est que, tandis que la blonde ne se fait jamais teindre, la brune se fait souvent teindre en blond vif, blond cendré, blond filasse et acajou clair.
Sur la scène, les dames du ballet et des chœurs portent des perruques blondes, sinon à l’Opéra, du moins dans ces théâtres, où les directeurs cherchent à donner à l’auditoire des représentations qui s’adressent aux yeux plutôt qu’à l’esprit.
Dans le mélodrame moderne, l’ingénue est blonde et l’aventurière est brune, surtout en Angleterre et en Amérique où chaque personnage doit être bien étiqueté. Si l’aventurière est blonde, le poulailler la prendrait pour l’héroïne et tout s’embrouillerait. En matière artistique, le peuple de ces deux grands pays est dans l’enfance, et l’on est obligé de lui servir des plats dramatiques selon son goût et son intelligence. Aussi, je le répète, faut-il que l’héroïne soit blonde et l’aventurière brune; aussi faut-il que le vilain porte un tuyau de poêle et des bottines vernies, fume des cigarettes, regarde tout le temps à droite et à gauche en louchant, et siffle comme un serpent chaque fois qu’il prend haleine.
Les poètes ont montré autant de partialité que les artistes pour les blondes. Alfred de Musset a chanté la femme «Blonde comme les blés», tout en louant cependant l’Espagnole. Les sonnets de Pétraque sont adressés à «Laure aux yeux bleus, à la chevelure blonde». Les Grecs de l’antiquité appelaient les jeunes blondes «filles des dieux». Les méridionaux ont toujours d’autant plus admiré les blondes que leur pays ne produit guère que des brunes.
Grâce à ses yeux bleus profonds et rêveurs, sa peau fine et blanche, ses traits délicats, sa taille élancée, la blonde est la jeune fille idéale; mais la jeune fille n’éclipse pas, à mes yeux, la beauté de la femme de trente ans, beauté que vous trouverez plus souvent chez la brune que chez la blonde, beauté plus piquante, plus solide, plus durable.
Mais allez donc poser des règles ! Nous avons tous vu des brunes passées à trente ans, et des blondes de quarante ans encore superbes.
Vous ai-je entendu me demander si je préfère l’une ou l’autre ? Je vous défie de trouver un homme capable de répondre à pareille question.
Le sauternes est un vin exquis, léger, peut-être un peu sucré, mais délicieux. Le volnay a plus de corps, plus de bouquet, c’est un breuvage excellent. J’aime le sauternes et le bourgogne. Pour mon ordinaire, je prends du sauternes. Au repas conjugal, où il est défendu de mêler ses vins, je crois pouvoir affirmer que j’aurais été heureux avec une blonde et que j’aurais pu trouver le bonheur en compagnie d’une brune.
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Ce n’est que la femme de loisir qui peut se permettre le luxe d’être blonde. La blonde, qui veut rester belle, demande beaucoup plus de soins que la brune. Quel que soit son âge, pour être jolie, il faut absolument qu’elle conserve une apparence de jeunesse. Le soleil, qui augmente la beauté comme il augmente celle d’une pêche, détériore une blonde en lui tannant la peau ou en la couvrant de taches de rousseur. En vieillissant, la blonde perd non seulement la fraîcheur nécessaire à sa beauté, mais elle conserve une expression qui ne sied guère qu’à la jeunesse.
Si j’étais femme riche, je demanderais peut-être à être blonde; si je ne l’étais pas, je préférerais certainement être brune.
Dans les pays du nord, vous voyez fort rarement de jolies figures de femmes parmi les gens du peuple. Elles sont passées, flétries et sans expression au sortir de la première jeunesse.
Au contraire, en Italie et en Espagne, vous rencontrerez à chaque pas dans les rues des marchandes de fruits ou de fleurs qui auraient pu poser pour les madones de Raphaël et de Murillo. Les brunes gagnent à être exposées au soleil, ce que perdent les blondes.
Maintenant que vous ne me le demandez pas, je vais vous dire ce que j’aime, c’est une blonde aux yeux bruns foncés, ou mieux encore une brune aux yeux bleus ou violet clair avec la peau fine et délicate d’une blonde. Si vous êtes de mon goût, allez en Irlande, vous y rencontrerez ce type exquis de femme, combinaison délicieuse de qu’il y a de mieux chez la brune et chez la blonde.
« Vrai ou faux, tout le plaisir est pour les blondes ? » ! Je suis surtout impressionnée par la taille de la jeune fille de l’illustration .
Dites, si vous êtes blonde, chère Sylvie, vous, vous allez pouvoir enfin nous le dire en comparant avec vos chums de filles brunes ! Mais, c’est bizarre, pourquoi ce O’Rell ne parle jamais des noires ? Ou des rousses ?
La taille de la dame ? Assez incroyable, merci.