Ça coule !
Il y a peu, nous allions à la cabane avec Fadette, avant-première du temps des sucres. Mais là, voilà, ça coule partout. Dans les bois, les cabanes fument. Et, dès que la saison démarre, on se questionne, car on l’espère généreuse. Il en va du sucre du pays et de son prix sur les marchés. Un sucre abondant fait, bien sûr, baisser les prix.
Et la coulée des érables peut être capricieuse. Du temps froid, la trop grande abondance de neige ou son absence, les longues pluies n’aident pas. On espère que la température se réchauffe le jour et qu’elle tombe sous zéro la nuit. Une fonte trop rapide de la neige raccourcira la saison, habituellement longue de cinq à six semaines.
Suivons le printemps de 1895 dans le Quotidien de Lévis. Voilà une première annonce le 19 mars : Les sucriers de la Beauce ont presque tous commencé à entailler la semaine dernière. Le sucre du pays est une source considérable de revenus pour grand nombre de cultivateurs. Nous leur souhaitons une saison favorable. Neuf jours plus tard, on constate que la saison progresse bien. Les cultivateurs s’attendent à une abondante récolte de sucre du pays si la température continue à se comporter aussi admirablement. Depuis samedi [le 23], les érables ont coulé abondamment. Un cultivateur du sud est arrivé à Québec hier avec une centaine de livres de sucre. Il en a obtenu un beau prix. Mais, le 1er avril, on admet un ralentissement. Les érables n’ont pas coulé abondamment ces jours derniers, vu la température un peu froide. On compte sur cette semaine pour se rattraper. À la halle Notre-Dame vendredi soir, il y avait peu de sucre nouveau et il se vendait à bon prix. Le 15 avril, on déchante. La production de sucre d’érable ne sera pas aussi considérable que d’habitude cette année. La récolte de sucre est à peu près finie. Le 14 mai, il faut bien reconnaître un échec. L’industrie du sucre d’érable a complètement manqué cette année dans plusieurs comtés. Des cultivateurs, qui dans les bonnes années vendaient jusqu’à deux mille livres de sucre, en ont fait à peine deux cents livres ce printemps.
Selon les journaux, le printemps de 1898 fut une bonne saison des sucres un peu partout au nord et au sud du Saint-Laurent, les érables ayant coulé en abondance.
Le printemps de 1899 est médiocre dans la région de Lanaudière. Les propriétaires d’érablières, écrit La Patrie du 17 avril, se plaignent des difficultés qu’ils éprouvent à faire couler. Il y a encore six ou sept pieds de neige dans les bois; c’est dire qu’il est presqu’impossible de faire la tournée avec les chevaux. Les érables d’ailleurs ne coulent pas beaucoup. Si les apparences ne s’améliorent pas, il se fera très peu de sucre ce printemps.
Dans la région de Sorel, 1901 est un désastre. Les sucres sont finis, écrit le Courrier de Sorel du 23 avril. C’est un immense fiasco et, ce qui est plus malheureux, c’est le présage d’une mauvaise récolte de grains, dit-on.
En 1903, selon Le Soleil de Québec, édition du 23 mars, La récolte promettait beaucoup, mais on craint qu’elle ne soit diminuée vu les dernières pluies.
En 1908, au marché de la basse-ville, à Québec, les citadins accourent, même si les produits de l’érable sont chers. Le Soleil du 4 avril raconte : Il y avait, ce matin, ce que les gens sont habitués d’appeler un « gros marché »; les vendeurs étaient nombreux et les acheteurs ne faisaient pas défaut. On a salué avec enthousiasme les rares cultivateurs qui sont venus en ville, apportant avec eux le succulent produit de l’arbre qui a fourni notre emblème national, et les gourmets se pressaient autour des « bidons » d’où l’heureux détenteur du mets délicat tirait, contre espèces sonnantes, de quoi délecter le palais des citadins. Les prix du sirop étaient de $1.00 et $1.10 le gallon, tandis que le sucre se vendait 12 centins la livre. « Qu’importe le prix, l’essentiel, c’est qu’il y en ait ».
Il faut noter qu’on parle surtout de sucre, ce sucre qu’on consomme toujours dans les familles. Ce n’est qu’au 20e siècle qu’on fera le passage au sirop d’érable, franchement plus coûteux que le sucre et utilisé autrement que le sucre de table, maintenant le sucre blanc importé, venu de la canne à sucre.
L’illustration d’une cabane à sucre à Saint-Eustache est de l’aquarelliste montréalaise Bobby (Barbara) Atkinson.
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