Ah, les peines d’amour !
Bien oui, il faut en parler à un moment donné puisque c’est notre lot. Et béni êtes-vous si vous avez réussi à ce jour à traverser la vie sans en être frappé, car ça cogne. Parfois même, pas mal fort. Holà, submergement annoncé. Je dirais que c’est dommage que pareil événement soit attaché à la vie. Nous aurions pu nous en passer.
Les pires surviennent à l’adolescence. À l’heure où il faut apprendre à devenir grand, à larguer les parents, à se définir, voilà qu’on se fait tirer le tapis sous les pieds. S’ouvre un grand trou, dirait-on. Plus noir que blanc. Et, forcément, les plus graves questions existentielles surgissent. Je préviens toujours un parent, dont l’ado, fille ou gars, vit une peine d’amour, de ne pas s’en moquer, de demeurer tout près, prévenant, attentif, car jamais leur enfant n’a été autant fragile qu’alors. Il pourrait perdre pied.
Et puis il faut mettre du temps à éponger la plaie. Il n’y a pas de recette pour accélérer le processus. Foglia a écrit quelque part que ça prend bien une pleine année avant de prétendre être vraiment retombé sur ses pattes. Foutue tempête intérieure ! Et déchirement de surcroît. Où on se retrouve à essayer de détester cette personne qu’on aime tant. Ça dépeigne, mes amis, ça dépeigne.
Retour en 1901. Le correspondant du journal La Patrie à Fall River, Massachusetts, tient la plume. Le voici le 6 février. L’article s’intitule O amour inconstant ! Un petit roman dans lequel un facteur de Québec, veuf deux fois déjà, échoue misérablement. La jeune tourterelle lui a préféré un commis de pharmacien.
Tout le village de Flint est intéressé dans un petit roman qui ne manque pas d’intérêt. Il y a dans le village une fort belle jeune fille nommée Alice Rinfret, fille de Rémi Rinfret, un garde-moteur pour la compagnie de tramways. Dans le village, demeure un jeune Canadien fort agréable nommé Albert J. Péloquin, jusqu’à récemment commis de pharmacien chez les frères Barré.
Mlle Rinfret et le jeune Péloquin s’aiment depuis longtemps déjà et se seraient mariés, si Péloquin n’avait pas perdu sa position. En ce moment, Péloquin est sans ouvrage et attend un emploi.
Il y a quelque temps un parent de M. Rinfret, nommé Adolphe B. Gingras, facteur de lettres de la ville de Québec, un veuf possédant des propriétés assez considérables, du moins à ce qu’on en dit, fit connaissance avec Mlle Rinfret et en devint éperdument amoureux. Il demanda sa main et fut accepté par le père. On prit du temps afin de donner à la jeune fille le temps d’oublier Péloquin avec qui elle s’était brouillée. Mais l’amour pour Gingras ne vint pas. Au contraire, celui que la jeune fille portait à Péloquin devint plus fort après une réconciliation. Durant l’intervalle, Gingras faisait force présents à la jeune fille et vivait dans l’espérance.
Finalement, cédant aux instances de parents et de certains amis, la jeune fille consentit à regret au mariage avec Gingras. Tous les préparatifs furent faits. Gingras transféra à sa future épouse des biens pour environ $8,000 et il se croyait près du bonheur lorsque tout l’échafaudage s’est écroulé avec une rapidité qui a failli tuer le pauvre Québecquois.
La jeune fille partit samedi soir sous prétexte de se rendre à confesse afin de se préparer au mariage qui devait être célébré le dimanche après-midi, le trousseau et tout le reste étant acheté.
Au lieu de se rendre à l’église, elle s’enfuit avec une amie, Mlle Michaud, qui avait consenti à l’accompagner. On ne sait quelle direction elles ont prise, mais on sait qu’elles sont entre bonnes mains. Le jeune Péloquin avait gagné sa cause. On dit que depuis les deux jeunes gens ont été mariés. […]
Le lendemain, sous le titre de Ce roman d’amour !, le journaliste poursuit l’histoire.
Mlle Alice Rinfret, disparue si mystérieusement de chez elle, samedi soir dernier, parce qu’elle ne voulait pas épouser Adolphe Gingras, de Québec, que son père lui destinait, n’a pas été revue depuis. On ignore où elle se trouve, bien que ses amis et probablement sa mère savent où elle est et suivent ses mouvements. On dit que le jeune Péloquin ne l’a pas épousée, mais que les deux amoureux ont pris une licence pour se marier à Warren, afin de donner le change à M. Rinfret, père, et à Gingras qui la cherchent. Les gens du village de Flint sympathisent avec la jeune fille et son amoureux, Péloquin.
On ne peut non plus se défendre d’un peu de sympathie pour Gingras, qui appartient à une respectable famille de Québec, étant un fils de feu l’hon. Jean-Élie Gingras, conseiller législatif et riche constructeur de navires. On dit avec raison que Gingras méritait un meilleur sort et que la jeune fille aurait dû l’avertir personnellement de son antipathie pour ce mariage, au lieu de le tromper, dans le but de dérouter ses parents, en acceptant ses cadeaux et en le recevant chez elle. Dans tous les cas, l’affaire est faite et ce que Gingras a de mieux à faire est de s’en retourner chez lui et de se consoler.
Historien de la vie quotidienne, cela suppose aussi qu’il faille s’attarder aux peines d’amour d’autrefois.
Une grande amie m’écrit :
J’ai eu mon lot de peines d’amour et souhaiterais en effet en être protégée à jamais! Combien de larmes ai-je versées pour un Péloquin? Beaucoup trop. Tellement, que le nouvel amour que j’ai trouvé et me remplit le coeur de joie, me terrorise tout autant. Et si ça se termine, comment pourrais-je supporter encore une fois le chagrin? Impossible de se faire une carapace qui puisse nous protéger de la peine d’amour. Il y a seulement le temps qui puisse agir et guérir. J’imagine que c’est aussi pour ça qu’il existe, le temps.
Ah! Les peines d’Amour: Quelle horreur. Ne serait-ce que pour ça, je ne reculerais jamais l’horloge du temps; trop dur.
Vous avez tout à fait raison ! Les peines d’amour nous mettent le cœur balafré, plein de cicatrices. Ça magane sans bon sens.