Une bien importante pièce d’archives !
En octobre 1899, la Grande-Bretagne attaque les Boers, chez eux, dans le Transvaal et l’État libre d’Orange, dans le sud de l’Afrique. Beaucoup pour protéger les intérêts de grands capitalistes britanniques dans les mines.
La résistance des Boers est forte et le conflit traîne. C’est une sorte de guerre sale. À la vérité, il n’y a pas de guerre propre, mais celle-ci est particulièrement gênante pour l’Angleterre et ses colonies qui l’ont secondée. En effet, l’Angleterre, maîtresse du monde alors, met le paquet et rappelle à ses colonies de partout qu’elle doit être soutenue. S’ensuit un débat au Canada, qui est l’une de ses colonies. Juridiquement, le Canada se trouve en guerre, mais on distingue entre le juridique, la guerre elle-même et la participation effective à celle-ci. «Le problème est d’autant plus grave que l’opinion publique mondiale s’oppose à l’action injustifiée de l’Angleterre.»
Comme nous l’écrivions dans Canada-Québec, Lacoursière, Vaugeois et moi, «Laurier [le premier ministre du Canada] est partagé entre les Canadiens français et les Canadiens anglais. Le Canada anglais, par solidarité anglo-saxonne, presse le premier ministre de participer à la guerre. Les Canadiens français, s’identifiant en quelque sorte à la minorité opprimée, veulent que le pays reste en dehors du conflit. […] Le gouvernement prend sa décision, non pas par un vote des Chambres, mais par un arrêté ministériel. Il choisit une solution mitoyenne, c’est-à-dire une participation réelle, mais tout à fait modeste (8 300 soldats et 3 millions de dollars).»
Le Canada sera donc en guerre jusqu’aux premières années du 20e siècle. Beaucoup de journaux québécois, d’allégeance politique libérale, le parti de Wilfrid Laurier, noirciront du papier quotidiennement pour parler de la progression ou des revers de l’armée britannique et offrent invariablement la même version des événements. Toujours.
Le 7 février 1901, le journal La Patrie y va d’un témoignage jamais entendu, celui de Victor Gagné, un jeune Québécois habitant Lewiston, dans le Maine. À mes yeux, une pièce d’archives incroyable. Jamais on ne nous en a fait part dans nos cours en histoire à l’époque.
La voici cette pièce, intégralement, à cause de son importance. Elle a pour titre Un Canadien parmi les Boers et va comme suit :
Un jeune Canadien de Lewiston, M. Victor Gagné, fait partie depuis près d’un an de l’armée du Transvaal. Or, actuellement, le jeune héros est dans la Colonie du Cap et voici ce qu’il raconte dans une lettre adressée à sa mère et qui a mis plus de deux mois à se rendre à Lewiston.
Wynberg, 2 déc. 1900
Chère mère,
Je suis encore vivant et ma santé est parfaite. J’aurais beaucoup de choses intéressantes à vous raconter, mais je n’ai qu’une heure à moi. Je suis toujours sur le champ de bataille et j’en suis très heureux. Quand on se bat pour une cause aussi juste que celle des Boers, on n’a pas peur de mourir… C’est bien triste, tout de même, la guerre. Ce qu’il y a de plus triste, c’est que les Anglais sont très cruels envers les femmes et les enfants à qui ils enlèvent les provisions et dont ils font brûler les maisons.
Ah ! si les Américains voyaient ce qui se passe au Transvaal, je suis sûr qu’ils viendraient nous aider comme ils l’ont fait pour les Cubains. Il faut être ici pour croire à la barbarie des Anglais….. Malheureusement, cette guerre n’est faite que pour l’amour de quelques riches, possesseurs des mines. Les Boers sont les hommes les plus charitables, les plus pieux du monde, et je suis convaincu que, si Dieu ne leur aidait pas, ils seraient bientôt anéantis, car il y a dix Anglais contre un Boer.
Ce qui est réjouissant pour nous, c’est que la guerre se poursuit aux dépens de l’Angleterre, car, quand nous voulons des provisions, nous capturons un petit village ou un train blindé. En ce moment, nous sommes presque tous habillés en khaki (qui est, comme on le sait, l’uniforme du soldat anglais) et notre monture nous permet d’emporter des provisions pour 16 à 20 jours, à l’exception de l’eau fraîche.
Ici, nous sommes sur le terrain des Anglais et d’une place à l’autre les Hollandais se joignent à nous sans exiger aucune paye et ils se battent comme des lions.
Depuis que je suis sur le champ de bataille, nous avons eu sept escarmouches et deux longs combats là où il y avait 4,000 Anglais gardant les lignes de communications. L’un de ces combats commença à la pointe du jour et le feu fut terrible pendant trois heures. Mon voisin de droite, un jeune Boer de 16 ans, fut blessé au pied et c’était pénible de l’entendre gémir. Après un feu bien nourri, nous avons retraité pour recommencer le combat à 3 heures de l’après-midi. Il faisait si chaud que je crus perdre connaissance. Heureusement, les Anglais crurent que nous avions reçu des renforts et se sauvèrent en désordre et en nous faisant cadeau d’un canon et de beaucoup de munitions.
Je suis convaincu que les Boers vont gagner cette guerre, parce que Dieu leur aide, et que les étrangers, principalement les braves Français et Allemands, s’enrôlent par centaines tous les jours.
Je reçois 15 livres sterling (75$) par mois et mon commandant se nomme Harrisburg. C’est un vrai géant de 6 pieds 2 pouces de stature et brave comme un tigre. Nous sommes 2,000 hommes tous à cheval. Le mien est tout blanc et par farce je l’appelle « Montcalm Enbaducap ».
Ne vous inquiétez pas de moi; je suis aussi heureux ici que je l’étais à Lewiston.
Dans mon commando, il y a 245 étrangers et ils ont tous écrit à leurs amis de venir aider ces pauvres Boers que les Anglais traitent en vrais cannibales. Je voudrais que tu fasses publier cette lettre dans quelques journaux afin de montrer aux gens que les Boers méritent toute leur sympathie et afin que l’on prie Dieu pour le triomphe de leur noble cause.
Victor Gagné
Quel témoignage incroyable sur cette guerre, dont on nous a toujours présenté une seule version ! Aujourd’hui, 112 ans plus tard, comme le souhaite le jeune Victor Gagné et pour une meilleure connaissance de notre histoire, il faudrait, bien sûr, que ce document circule.
L’image ci-haut est celle de la 8e brigade d’artillerie quittant Valcartier dans la région de Québec. Cette brigade, par nom interposé, a servi lors de la guerre contre les Boers. Elle a pour origine le 30e Régiment d’artillerie de campagne, RCA, créé sous le nom de 2 e Batterie de campagne de la Milice volontaire d’Ottawa en vertu de la Militia Act, le 27 septembre 1855. Son surnom, les « Bytown Gunners », provient de son affiliation avec Ottawa lorsque la ville s’appelait encore Bytown, en l’honneur du colonel John By, constructeur du canal Rideau. « Les membres de l’unité ont servi durant les invasions des Fenians de 1860 et 1870, la rébellion du Nord-Ouest (Riel) de 1885 et la Seconde guerre des Boers de 1899 à 1902, où des volontaires ont été détachés pour combattre dans le deuxième contingent canadien. » Le régiment, comme tel, a été inauguré le 9 mai 1905 sous le nom de « 8e Brigade d’artillerie de campagne, CA ». Il a été mobilisé à Ottawa au début de la Première Guerre mondiale sous le nom de 1re Brigade d’artillerie de campagne canadienne (1 CFA), alors qu’il était composé des 2e et 23 e Batteries, et a été appelé à servir tout au long du conflit. Voir : http://www.pch.gc.ca/pgm/ceem-cced/fr-rf/ggd/info-fra.cfm
Voir aussi cet historique: http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19020531
Bonjour M. Provencher,
c’est en effet un fort éloquent témoignage.
Dites-moi, est-il habituel qu’un simple soldat écrive ce genre de lettre en demandant de la faire circuler dans les journaux? Lorsqu’on lit la fin de la lettre, on croirait pratiquement de la propagande des Boers.
C’est tout de même incroyable d’affirmer d’être aussi heureux dans cette guerre que s’il était dans son bled de Lewiston.
Rénovant un mur de ma petite maison de campagne, voilà plusieurs années, dans le bran de scie, des copeaux, une bouteille de médicament, une tête de poupée en porcelaine, des morceaux de vaisselle, j’ai trouvé quatre lettres écrites sur du papier des Services de guerre des Chevaliers de Colomb. Elles étaient celles d’un volontaire, engagé comme mitrailleur dans le régiment de la Chaudière, à son épouse qui habitait ma maison. Le texte intégral de ces lettres apparaît dans mon ouvrage «Un citadin à la campagne». Manifestement, on écrivait à sa famille, en tous cas lors de la Deuxième guerre. Aux journaux, je l’ignore.
¨Propagande des Boers¨, dites-vous ? Je ne le crois absolument pas. J’entends d’abord dans cette lettre un fils à sa mère qui se meurt d’inquiétude. Ma belle vieille grand-mère Valéda, que j’ai tant aimée, m’a raconté un jour sa si grande inquiétude quand mon oncle Fernando est allé faire la Deuxième. Toute mère dont le fils part à la guerre se meurt d’inquiétude.
¨Propagande des Boers¨ ? Aujourd’hui, nous avons complètement oublié le poids de l’Angleterre sur l’humanité en 1900. L’Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais, détentrice de 27% des terres émergées sur le globe, maîtresse de toutes les mers du monde. Sur ce terrain précis du bout du monde, près de 500 000 hommes, dont des Québécois, contre 50 000 menant une guérilla. Et j’évite d’ajouter que l’Angleterre a ponctionné le monde pour établir son économie et, bientôt, sa puissance.
Ce jeune Victor Gagné a fait des études, ce texte le montre bien. Habitant du Maine, lorsqu’il souhaite l’appui des États-Unis, il n’est pas sans savoir que ce pays, au nom de la vieille Doctrine Monroe de 1823, vient d’expulser les Espagnols de Cuba. Et il souhaite un appui concret de son pays.
L’appel à sa mère pour la diffusion de sa lettre ? Il croit sans doute au pouvoir de la presse sur l’opinion publique. La Patrie donnait constamment des nouvelles des Franco-Américains. D’ailleurs, vous me faites penser qu’il faudrait bien que j’en échappe à l’occasion. On parle encore de nos frères de là-bas. Sa mère, sachant cela ou conseillée de le faire par des proches, a fait parvenir la lettre de son fils à Montréal. Et la voici sur la grande Toile.
Je ne veux pas nourrir de polémique. J’espère ce site interactif lieu de repos d’abord, et aussi de connaissance partagée pour qui soudain s’y retrouve. J’entends dans cette lettre enfin l’engagement d’un beau jeune prêt à porter secours, si modeste soit-il, devant une puissance incroyable.