Scènes d’abondance
La veille des Rois, qu’en est-il donc des marchés montréalais ? Le journaliste Jacques Bonhomme, qui tient une chronique d’humeur dans le journal La Patrie en 1899 et 1900, répond à la question. On aurait pu croire que les fêtes de Noël et du Jour de l’An avaient épuisé les provisions de la ville et de la campagne, tant il s’est consommé de victuailles en ces jours de bombances.
J’ai parcouru la plupart de nos marchés, dans la matinée, et tout ce que j’ai vu m’a pleinement rassuré. Il reste encore assez de produits de toutes sortes pour satisfaire les plus gourmands. Nous n’avons pas à redouter de disette et les habitants doivent avoir des ressources immenses pour alimenter avec tant de variété la grande ville de Montréal.
Les devantures des boutiquiers offraient, ce matin, un spectacle alléchant.
Des monceaux d’oies bien grasses, des canards, des dindes rebondies, de gros poulets, à la chair d’une blancheur immaculée s’entassaient devant les échoppes. Ici des files de cochons de lait, des lièvres, des perdrix, des pigeons, des faisans vénérés. Les bouchers étalaient d’énormes quartiers de bœufs, de tendres agneaux, des porcs engraissés, des chevreuils aux cuisseaux délicats. Il y avait de quoi nourrir toute la ville. Gargantua lui-même aurait eu l’embarras du choix.
On se représente tout cela rôtissant dans les fours, mijotant dans les casseroles et répandant un fumet délicieux dans les cuisines, puis s’échappant en buée odorante dans les rues.
Au marché des poissons, les acheteurs se pressaient autour de gros brochets, de carpes brillantes, de dorés, de haddocks frais ou fumés, de saumons rouges de la Colombie, de tonneaux d’huîtres Malpecques.
Dans la division des fruits, de jolies Montréalaises marchandaient les pommes, les oranges, les atokas. Les raisins étaient très rares, mais on déballait des caisses de citrons, de figues, de pruneaux.
Aujourd’hui au marché Bonsecours, on passait au milieu des voitures de légumes d’hiver : des choux, du céleri, des betteraves. De fraîches laitues piquaient d’une jolie note verte tout ce parterre de provisions qui étaient enlevées rapidement par les acheteurs pressés.
Partout du mouvement, de l’activité. Des hommes circulaient, chargés de lourds paquets, des femmes portaient au bras des paniers bien remplis et retournaient à leur demeure, tandis que d’autres, comme un flot nouveau, arrivaient à la hâte pour choisir les meilleurs morceaux et les victuailles les plus appétissantes.
Noël, le joyeux Noël a été bien fêté.
Soyons sans crainte, il y aura encore de joyeux festins pour le saint jour de l’Épiphanie !
on écrivait bien, à cette époque lointaine, avant l’apparition
des wagons climatisés, des avions-cargos et des commandes
par internet , pour célébrer la bonne chère entre gens
sympathiques !
merci de ce document parlant,
bonne année,
François R.
Souvent, en effet, François, les journalistes ont une bien belle plume.
Bien bonne année à toi.
ah quel beau mot que ‘victuailles’. il résume bien l ensemble de ce texte et il est amusant de se surprendre à saliver devant cette énumération d aliments pas du tout transformés. l appel du feu, de la marmite odorante.
et quelle grande responsabilité pour les cuisinières que la préparation de ces denrées ! du plumage au glacage. peu de place à l erreur dans ces temps là.
merci beaucoup et bonne année.
Ah, vous avez tellement raison, chère Josée. Tout est dit. Tout est nommé, dirait-on. Et quel travail de la cuisinière pour tout transformer !
Parfois, ce Jacques Bonhomme nous offre des papiers d’humeur très, comment dire, «pompier» ou faisant la morale. Cette fois-ci absolument pas.
Bien belle année à vous. Merci beaucoup de votre mot.
Prenant le train un peu en retard et applaudissant les commentaires précédents, j’amène une interrogation que, Jean, tu pourras surement expliquer: Comment faisait-on pour obtenir des laitues bien vertes au marché en 1900?