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Le journaliste et écrivain Jules Fournier (1884-1918) rencontre Frédéric Mistral (1830-1914)

une visite a MistralAu printemps 1910, âgé de 25 ans, le jeune Jules Fournier part sur les routes de France. Il y rencontre le journaliste Henri Rochefort (1831-1913), qu’il admire, puis le voici chez Mistral.

Maillane, le 18 mai 1910

C’est dans le Midi que nous voilà rendus. Et c’est au Café du Soleil, à Maillane que je vous écris. Et je sors à l’instant de chez Mistral. […] Il habite, depuis son enfance, le petit village de Maillane, à trois heures environ de Marseille. […]

Maillane est un petit village de deux cents âmes tout au plus, qui forme le centre à peu près de la commune (nous dirions chez nous : de la paroisse). Villageois ou paysans, Mistral connaît tout le monde. […]

… me voici devant une humble maison blanche, en tout pareille à celles des voisins, et dont se contenterait à peine le moindre notaire de campagne de mon pays. C’est là qu’habite le grand homme de la Provence, le chantre inspiré de l’âme latine, l’illustre poète devenu, de son vivant même, légendaire…

Je frappe à la porte, et, l’instant d’après, me voici en présence du Maître.

C’est dans sa bibliothèque qu’il me reçoit, pièce de moyenne grandeur, dont les fenêtres donnent sur le jardin, du côté du soleil levant. […]

— Ah ! vous êtes du Canada… me dit-il. Et vous êtes venu voir notre Provence. Vraiment, vous ne tombez pas bien. La Provence, sous la pluie, la Provence sans le soleil n’est plus la Provence… Mais asseyez-vous, et causons un peu de votre pays.

Il me parla alors longuement du Canada et des Canadiens. Je vis qu’il était fort bien au courant de notre situation, du moins dans l’ensemble.

— Votre histoire, dit-il, m’a toujours passionné et, si je n’étais pas aussi casanier, votre pays est un de ceux que j’aurais voulu visiter des premiers.

Il me questionne avec intérêt sur la littérature canadienne. Il connaît, au moins de noms, quelques-uns de nos auteurs. Il s’émerveille à l’idée des sources d’inspiration qu’offrent à nos poètes l’histoire et la nature canadienne. […]

C’est d’une voix chantante, nuancée d’un sensible accent provençal, qu’il me dit ces choses. Tout en l’écoutant, je l’observe; et je ne puis en croire mes yeux : mon interlocuteur a soixante-dix-huit ans bien comptés, il vient de me le dire, et, cependant, ma parole d’honneur ! c’est à peine si on lui en donnerait soixante. […] Je lui demande comment il a pu se conserver de la sorte.

— Mon Dieu, me dit-il, que voulez-vous ? J’ai toujours vécu à la campagne, ici même, à Maillane, bien tranquille et bien calme. […]

Mistral a connu la plupart des grands écrivains du siècle. Tout jeune, il fut en relation avec Lamartine, qui se fit, à l’apparition de «Mireille», le garant de cette œuvre auprès du public. [Mireille valut à Mistral en 1904 le Prix Nobel de littérature.]

Enfin, après un longue heure de conversation, je prends congé de l’illustre poète.

— Vous reviendrez en France l’an prochain, peut-être ? me dit-il en me reconduisant. Eh bien ! si vous vous rendez en Provence, comme cette année, il ne faudra pas oublier vos amis de Maillane.

* * *

Je suis allé au cimetière voir le tombeau que Mistral s’y est fait préparer, et dans lequel il reposera plus tard, parmi les siens.

Puis je suis revenu au Café du Soleil pour vous écrire ces lignes. C’est ici que Mistral, tout dernièrement encore, avait l’habitude de se rendre presque chaque soir, pour y converser avec villageois et paysans. Comme il n’est pas seulement un grand poète mais encore un conteur incomparable, il y contait souvent, jusqu’à une heure avancée de la nuit, toutes sortes d’histoires merveilleuses.

 

La Patrie (Montréal), 7 juin 1910.

Sur Mistral et son chien Pan Perdu, voir ce billet.

Sur Fournier, rappelez-vous que, l’année précédente, il avait été condamné à trois mois de prison par le juge qu’il avait critiqué.

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