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Beaucoup de pauvres sont «des flâneurs, des désœuvrés, des paresseux, des gens vicieux»

laumone de franchere

Y aurait-il de vrais pauvres et de faux pauvres ? Il semble bien selon celui qui signe L’Ami des pauvres, dans un article du journal Le Sorelois du 17 octobre 1882.

À la campagne, la mendicité est le meilleur métier; c’est le plus rémunérateur, et surtout le moins forçant. Pour un certain nombre de mendiants, cette dernière qualité fait le principal charme du métier; pour d’autres, ça paye mieux que travailler.

Ce printemps, alors que la main-d’œuvre était si recherchée, on s’est dit : «Eh bien, le nombre de nos mendiants va diminuer».

Vaine prévoyance ! Les chemins ont été plus que jamais battus par les quêteux : on y a vu passer les familles jusqu’à la deuxième génération. […] Il y a bien les pauvres dont les infirmités ou la vieillesse leur interdisent tout travail; il y a aussi les travailleurs qui aiment bien à gagner ce qu’on leur donne, mais qui, en de certains temps, ne peuvent trouver de l’emploi.

Ceux-là ne sont qu’une partie infime de la classe des mendiants, tout le reste n’est qu’une armée de flâneurs, de désœuvrés, de paresseux, de gens vicieux qui spéculent sur la commisération publique.

Un écrivain important a dit quelque part : «Tout pays où la mendicité devient profession est mal gouverné.» Pour ma part, je n’aime pas l’intervention de l’État dans une semblable question. On en a essayé dans tous les pays, et les résultats ont été partout bien peu satisfaisants. Les États-Unis ont aujourd’hui leur système de «Maisons des pauvres». Quel en est le résultat dans le plus grand nombre des États ?

On n’a fait que déplacer et empirer l’anomalie sociale : au lieu de misérables importuns, qui exploitaient votre charité, vous avez une espèce d’esclavage par une impitoyable exploitation du pauvre. Ainsi, le petit nombre des pauvres qui entrent aux Poor Houses sont exploités par la spéculation, les autres se sont fait voleurs plutôt que d’y entrer ou d’y retourner.

Ce système peut avoir de bons côtés : je lui en connais un, c’est la séparation complète de la classe laborieuse d’avec celle des fainéants et des paresseux éhontés.

Ici, notre classe de vrais et bons pauvres sert de transition ou de trait d’union entre la classe honnête, active, laborieuse, et celle des criminels.

Cependant tout ce qu’un Gouvernement civil peut et doit faire en une semblable question a été fait ici. Ainsi, nous avons l’Acte relatif aux vagabonds, qui nous fournit le moyen de mettre à la charge de l’État tous les faux mendiants. Mais si cet acte était appliqué dans toute sa rigueur, un bon nombre de pauvres, dignes de la commisération publique, en seraient atteints. Et c’est probablement ce qui a été la cause de la désuétude de cette loi, au milieu de nos populations.

Pour l’appliquer donc, judicieusement, il faudrait une organisation dans notre pays qui permit de distinguer, parmi les mendiants, ceux qui méritent l’annonce et ceux qui doivent être livrés à la justice.

La chose est facile, et le moyen en est simple, au moins je le crois et je le soumets :

Que sous le patronage et l’initiative de l’Autorité épiscopale, et dans chacune des paroisses du diocèse, l’on établisse la St-Vincent de Paul.

On m’a dit qu’en certains endroits cette institution aurait été établie sans résultats satisfaisants. J’ai pu me convaincre, après informations, qu’on y avait manqué d’organisation. Pourtant cette organisation, pour être effective, n’en est pas plus compliquée.

C’est un corps d’administrateurs ou de directeurs, sous la présidence ou avec la participation du Curé; chacun d’eux représente un rang, ou une partie de rang, et est chargé d’y faire la liste des pauvres à soulager, et de faire rapport.

Par ce moyen, pas un pauvre n’échappe à la surveillance de la charité. Les aumônes que les paroissiens distribuent à tous venants dans le cours d’une année, sont par eux portées en une, deux ou trois fois par année, au lieu fixé, et la répartition en est faite, d’après les rapports, de manière qu’il y ait une distribution une fois par semaine.

Arrive-t-il qu’un de ces pauvres deviennent capable de travailler ou encore trouve-t-on à en placer quelqu’un avantageusement, il faut qu’il parte et qu’il travaille, car la ration prend fin pour lui.

On voit de suite qu’avec un pareil système, il n’y a plus qu’à référer aux autorités de son association ou de dénoncer à la justice tout mendiant qui se présente aux portes. Et voilà la mendicité de profession extirpée d’un pays.

 

Le tableau L’aumône, de Joseph-Charles Franchère (1866-1921) est paru dans Le Monde illustré du 25 octobre 1890. On le retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Pauvres en milieu urbain».

Contribution à une histoire de la pauvreté au Québec.

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