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Critique de la chronique

Dans les journaux anciens, la chronique est à la mode. Et j’aime bien relire la prose des chroniqueurs. À la condition qu’elle ne soit pas politique. Car, à moins qu’on travaille à de l’histoire politique, j’ai remarqué que rien ne vieillit plus vite, dans cette presse d’alors, que les textes politiques. Ils sont, soudain, complètement d’un autre temps, emberlificotés dans les débats de ce temps.

Mais, dans L’Étoile du Nord (Joliette) du 15 février 1894, voici le texte — De tout un peu —de celui qui signe Julien, qui se montre quand même assez critique devant la chronique.

Pourquoi ne céderais-je pas à mon tour, au désir de fabriquer une petite chronique ? Il est si commode, lorsqu’on n’a rien à dire, de laisser sa pensée errer ainsi au fil de la plume, sans nul souci de la coordonnance [sic] de ses idées, sans la tyrannie du cadre tracé. On poursuit sa marche sans s’arrêter aux obstacles de la route, et sitôt qu’il se dresse une difficulté, vite, on la franchit sans prendre la peine de l’aplanir.

Ici tout est vie, tout est feu, tout est plein d’une allure qui ne souffre pas de retard et qui ne sait que faire des savantes périphrases du dissertateur et du politicien. On y parle de Rome et du carnaval, on y jette en passant un regard attendri sur l’infortune, on mouille d’une larme la tombe encore entr’ouverte de l’ami d’hier, on rit des caprices du monde, on vante les exploits des héros, on célèbre la vertu et notre plume a des traits rapides qui foudroient sans merci les mille et uns travers du siècle.

La pensée humaine a-t-elle jamais eu champ plus vaste pour prendre ses ébats ? Et c’est ainsi que la chronique est devenue à l’ordre du jour. Tantôt on l’appelle du nom bizarre «À tort et à travers», tantôt elle prend le nom plus familier de «Causerie»; d’autres fois elle affecte des airs d’insouciance et, pour montrer l’allure indépendante qu’elle entend suivre, elle se présente sous un titre nouveau : c’est alors «Au fil de la plume».

Toujours curieuse de tout savoir et de tout découvrir, toujours prête à tout dire ce qui lui passe par la tête (s’il est vrai qu’une chronique peut avoir une tête), elle est l’idole du lecteur qui aime ses indiscrétions et qui trouve dans sa forme souvent provocante et sarcastique une harmonie secrète avec ses propres sentiments.

Inutile d’essayer à vous décrire plus longuement l’indéfinissable nature de la chronique. Elle a avec beaucoup de choses des points de ressemblance et son caractère variable et inconstant l’a fait plus d’une fois comparer à une conversation… unilatérale.

 

Aujourd’hui, certains quotidiens québécois versent tout à fait dans l’opinion, dans la chronique, leurs pages en sont pleines. Messieurs et mesdames se succèdent, nous servant ce qu’ils-elles pensent à plus soif, sur tout et sur rien. J’aimerais soudain avoir 100 ans de plus pour voir si tout cela nous sera utile.

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