Marie Pantalon, une femme étonnante en Californie en 1850
Je n’avais jamais entendu parler de celle qu’on surnommera «Marie Pantalon» (1823-1892), une belle audacieuse, déterminée, qui, partie de France, s’installera en Californie au temps de la ruée vers l’or. À l’occasion de son décès, le quotidien montréalais La Patrie y va de cet article à son sujet le 23 février 1892.
Les journaux de Californie enregistrent la mort, à quelques milles de Jackson, dans le comté d’Amador, d’une femme qui eut son heure de notoriété à l’époque où l’exploitation des placers constituait à peu près la seule industrie de la Californie.
La génération actuelle n’a probablement pas entendu parler d’elle; mais tous les Français de Californie qui ont couru les mines l’ont connue, et parmi ceux qui liront ces lignes, il n’en est pas un qui n’ait gardé le souvenir de cette femme qui joignait à une aptitude remarquable pour le travail une énergie peu commune.
Elle se nommait, de son nom de famille, Marie Suize. C’était une fille du peuple, une paysanne, née à Thônes, en Savoie, en 1823. Au commencement de 1850, attirée par le bruit que faisait la découverte de l’or, elle avait quitté la France en compagnie d’un de ses frères pour venir en Californie, et débarquait à San Francisco dans le courant de la même année.
À San Francisco, qu’allait-elle faire ? L’existence facile qui s’offrait alors à la plupart des femmes n’était pas à son goût. Elle se sentait robuste et courageuse. Sans regret, elle dit adieu à la cité naissante, et se mit, avec son frère, en route pour les placers.
Le hasard les conduisit à Jackson. Là, le parti de Marie Suize fut bientôt pris. Elle se procura un pic et une pelle, et se mit à travailler à la mine avec son frère et un homme de leur pays qu’ils s’étaient adjoint comme associé.
Mais son costume la gênait. Ce n’était pas commode de piocher la terre et de se mouvoir avec des jupons au milieu des graviers humides. Elle n’hésita pas, et troqua ses vêtements de femme contre un costume de mineur, sans en excepter les longues bottes et le sombrero. Ce fut à cette époque qu’elle changea son nom de Marie Suize en celui de Marie Pantalon, que lui donnèrent les mineurs, et qu’ils lui ont conservé jusqu’à sa mort.
Les journaux ont raconté les démêlés qu’elle eut à ce sujet avec la justice. La loi californienne interdit aux femmes le port des habits du sexe masculin, et la cour du district de Jackson, prenant en considération le travail auquel elle se livrait, lui avait délivré un permis qui l’autorisait à déroger à la loi.
Néanmoins, elle fut arrêtée à plusieurs reprises, une fois à San Francisco et une autre fois à Virginia City. Grâce à son permis, ces arrestations n’eurent pour elle aucune suite fâcheuse. Cependant, en 1872 ou 73, elle reprit ses habits de femme à Virginia, où elle était alors à la tête d’un grand établissement commercial.
Mais cette femme, qui possédait alors une fortune de cent ou cent cinquante mille dollars, ne sut pas résister à l’entraînement des jeux de Bourse, et la fortune si laborieusement acquise finit par s’envoler dans les spéculations où tant d’autres, comme elle, n’ont trouvé que la ruine.
Pourtant, elle ne perdit pas courage. Son magasin et le produit de son ranch lui donnaient encore des ressources suffisantes.
Le corps usé par le travail, l’esprit fatigué par le souci des affaires, elle sentit peu à peu ses forces décliner, et, il y a un an, elle prit le parti de se retirer de son ranch dans l’espoir d’y rétablir sa santé. Il semblait qu’elle fût tout à fait remise, quand, à la suite d’une rechute, elle s’est éteinte, pour ainsi dire, en moins d’une semaine.
La gravure de Marie Pantalon provient du site suivant sur Flickr.
Un autre site internet affirme qu’elle s’associa à un Français originaire de Charente maritime, André Douet, pour cultiver des vignobles, et que sa première cuvée serait de 1865, faisant d’elle la plus ancienne productrice de vin du comté d’Amador, en Californie.