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La bataille pour la qualité du français québécois

Dans la presse québécoise d’il y a cent ans, on remarque une constante : la lutte pour la qualité du français québécois. Dans sa chronique du samedi 18 février 1893, publiée à la une de La Patrie, A. B. [A. Beauchamp] revient sur le sujet.

Le savant lexicographe français Boiste a écrit quelque part : — «Il ne peut y avoir de meilleure trouvaille que celle d’un ami». Pour ce qui nous regarde, Boiste se trompe; car la découverte d’une expression technique française, remplaçant une expression anglaise, est, pour les Canadiens français, une trouvaille aussi heureuse que l’est celle d’un ami. On demandera peut-être : POURQUOI ? Le pourquoi, le voici.

La langue anglaise (il serait peut-être mieux de se servir du mot dialecte) a toujours été, depuis 133 ans, est encore et plus que jamais, et sera probablement toujours une épée de Damoclès pour la race française de la Confédération canadienne.

Nous pourrions sans danger adopter des expressions tirées des langues espagnole, russe, allemande, etc., vu que ces idiomes ne sont pas, comme l’anglais, une menace perpétuelle contre notre langue. Il ne faut pas se le cacher, il se fait parmi nous un travail, peut-être lent, mais tout aussi sûr que dangereux et pénible aux yeux de ceux qui ont encore au cœur l’amour de la langue si belle et si riche de nos Pères.

Que l’on veuille bien se reporter à trente ou quarante ans en arrière, que l’on compare le langage d’alors avec celui d’aujourd’hui, les écrits de nos journalistes d’il y a un demi-siècle avec les écrits des journalistes de la fin de siècle, et, la main sur la conscience, ne devrons-nous pas admettre que nous perdons du terrain, que l’anglais nous envahit, nous déborde; et à qui la faute ?…

À ceux qui, par leur discours et leurs écrits, dans les journaux ou ailleurs, se servent d’un langage hermaphrodite parsemé d’anglicismes ou de mots anglais tout crus. On croit s’excuser en disant que la même chose se voit «à Paris même». Nous savons que, dans la grande capitale, des petits crevés affectent de se servir d’expressions anglaises qu’ils ne peuvent même pas prononcer de manière à être compris; mais ne sait-on pas aussi qu’à Paris, il n’y a que le ridicule qui s’attache à cette singerie, car, Dieu merci ! l’anglais ne sera jamais une menace pour la langue de la vieille France. Pour nous, c’est bien différent : il y a ridicule et danger.

Nous avons encore des écrivains qui écrivent notre langue purement, exempte d’anglicismes, mais, grand Dieu ! qu’ils sont rares, et ils se font de plus en plus rares. […]

Il y a sept ou huit ans, je donnais, sur Le Canadien, publié alors à Québec, toutes les expressions techniques appartenant aux chemins de fer. Ici encore, à quoi bon ? Est-ce que l’on continue de biller un colis ? Est-ce que la track, le braqueman, la switch, le conducteur, le switchman, le despatcher, le road-master, et des centaines d’autres bêtes aussi bêtes ont disparu ?…

Allez-y voir, et je vous défie de comprendre ce baragouinage écœurant, si vous ne savez pas baragouiner l’anglais. Voltaire a dit : «Il faut beaucoup d’années pour épurer la langue et former le goût». Et, à nous, combien d’années faudra-t-il pour nous épurer, pour rejeter bien loin l’algonquin que nous parlons, quand le mauvais exemple nous vient de la plupart de nos journalistes ?

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