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Un citadin passe plus d’un mois à la campagne

Tison qu’il s’appelle. Du moins, c’est le nom qu’il se donne. Son texte paraît dans le quotidien L’Étendard (Montréal) du 7 février 1884.

J’ai passé le temps des fêtes à la campagne. Vous croyez peut-être, lecteurs, que c’est depuis Noël jusqu’aux Rois, les fêtes ? Allons donc ! j’en arrive là, j’en arrive ! Et ça été des fêtes!… […]

Il y avait longtemps que j’avais été faire un tour dans ma paroisse. Vous dire comment nous avons été reçus serait difficile, et plus difficile à croire pour ceux qui ne connaissent pas nos bonnes vieilles mœurs canadiennes. Ce n’était qu’un neveu que j’allais voir, mais un vrai ! je vous en réponds de celui-là ! Quand je pense comme il était content de nous revoir ! les larmes m’en viennent aux yeux. Pourtant je ne suis pas un pleurnicheur. […]

Le lendemain de mon arrivée, c’était Noël, et mon neveu, qui est un brave cultivateur de l’endroit, attela «Charmante» pour aller à la messe. Je m’en rappellerai longtemps de cette petite bête canadienne — pourquoi en voyons-nous si rarement — elle allait comme le vent; et passait à côté, la neige en volait ! Ce n’est pas que quelques-uns n’essayassent de la suivre.

Aussi, c’était encore drôle de voir quelques habitants pousser avec nous ! Et d’entendre le bruit des phetons et des couplets sur le travail des traînes à bâtons et à haridelles ainsi que le gling glang des grelots fêlés ! Et puis les femmes de crier ! Beau dommage ! on était toujours prêts à s’accrocher, tape toujours ! Il s’agissait d’arriver avant l’heure de la messe, pour faire visite à un cousin qui demeurait au village. Il fallait voir notre arrivée au milieu des curieux, chuchotant sur notre compte. Mais fichtre ! je n’avais pas honte. Attention ! nous étions bien nippés ! En entrant chez les cousins, il fallut s’exécuter : des poignées de mains, des baisers, en veux-tu en v’là.

Il y avait là et des cousins et des cousines, et des issus de germains et des tantes pour vrai, des nièces à la mode de Bretagne !

Oh ! là ! là !

Car vous savez ou vous ne savez pas : au village, la famille adopte une maison et c’est le rendez-vous des parents et amis. Tout de même, c’est beau, cette vieille tradition de s’embrasser. Moi je vote pour que ça continue. C’est moins homme d’affaire que de dire à son père : How are you, sir ? Mais c’est plus amical.

Tout le temps que nous avons été là, parole d’honneur ! nous avons été aux noces. C’était à dîner chez François, à souper chez Jean, à déjeuner chez Joseph. Et des tables ! à la canadienne : les socs, les palerons, les ragoûts, les boudins, les saucisses, les tartes, les beignes et je ne vous dis que ça !

Il nous a fallu quitter cette vie de délices et revenir, moi, me remettre le collier au cou. Si encore on se sentait coudoyer par des bras amis; mais non. Que c’est donc triste ! On se regarde tous dans les affaires comme des étrangers, sinon comme des gens qui se défient les uns des autres.

Et je me demande comment on pourra recevoir dignement ces braves gens qui ont été à notre disposition pendant notre séjour à la campagne ? Pourtant je les attends, et ma femme s’étudie à leur prouver combien nous sommes sensibles à leur gracieuse réception. Mais encore, est-ce une étude que de savoir mettre nos hôtes à l’aise !

Moi, je prétends qu’il faut pour cela quitter nos grands airs et recevoir à la bonne franquette. Je me suis de plus en plus persuadé, pendant mon séjour à la campagne, que la vraie politesse vient du cœur.

 

L’illustration, gravure magnifique s’il en est, paraît d’abord dans L’Opinion publique du 22 décembre 1881. On la retrouve aujourd’hui sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Réveillons».

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