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Le carnaval à Montréal en 1892

Dans La Patrie, Françoise, de son vrai nom Robertine Barry, consacre sa chronique du lundi 18 janvier 1892 au carnaval dans la métropole montréalaise. Mais il semble qu’après quelques années à l’extérieur, l’événement se tienne désormais en dedans. Finies les activités en plein air.

C’est un gai carnaval qui est commencé.

Le temps où les grands salons se parent de mille lumières étincelantes, où l’odeur des fleurs, les parfums subtils se dégageant du frou-frou de la soie flottent dans l’air qu’ils embaument…

Puis la musique des orchestres, dont le rythme cadencé charme les oreilles et fait tournoyer lentement, gracieusement sur les tapis moelleux, tout un cortège d’épaules blanches et rondes, aux bras de beaux danseurs…

Le temps des confidences et des doux propos dans les petits boudoirs, sur les banquettes dissimulées dans les coins, dans les embrasures des fenêtres, derrière les lourdes portières…

Et les marches d’escalier, donc ! Faut-il ne pas les mentionner quand elles ont servi si souvent d’échelons pour monter jusqu’au ciel !

Le carnaval, c’est donc tout cela : des plaisirs, des fêtes, des bals, des amours.

Et les pauvres ouvrières qui piquent tant de points dans cet interminable ouvrage de tapisserie, qui assistent à toutes les conquêtes, tous les triomphes sans avoir jamais leur part du butin.

Le carnaval, c’est donc encore tout cela : les désappointements, les jalousies, les sourdes douleurs que ces pauvres déshérités dissimulent de leur mieux, comme on cache un sourire derrière son éventail.

Ce sont aussi les déboires, les rivalités dans le plein milieu de ces dehors séduisants, sous le jet des lumières irradiées, tandis que le cœur désillusionné ne remporte de tout cet éclat qu’un souvenir cuisant à ajouter à la vie sombre et terne.

* * *

Byron assure que de tous les lieux de la terre, Venise est celui qui offre le carnaval le plus charmant par ses danses, ses chants, ses bals et ses sérénades.

Et on peut se le figurer aisément quand l’aspect seul de la nature y est une fête.

Qu’il doit faire bon se promener dans les gondoles, sous le beau ciel d’Italie, parmi ces chefs-d’œuvre, créations immortelles, sous une pluie de fleurs qu’on lance de tous les balcons !

Le carnaval de Rome, décrit et vanté par Goethe, peut entrer en concurrence avec celui de Venise.

Mais Buenos-Ayres et Monte-Video sont, dit-on, les plus joyeux pays au monde, en temps de carnaval.

Pendant les trois jours gras, une des manières de se divertir consiste à jeter de l’eau sur les passants et à lancer d’un côté de la rue à l’autre des œufs remplis d’eau et dont l’ouverture a été bouchée avec de la cire.

J’aime croire que l’on a d’autres amusements plus agréables que celui-là; à mon humble avis, il n’est pas des plus aimables.

Il est vrai d’ajouter que le température, exceptionnellement douce là-bas, permet ces jeux aquatiques qui n’offrent aucun danger.

Voici les principaux caractères que l’on donne au carnaval selon différents pays où il se passe : frondeur et léger en France, enthousiaste, bruyant en Italie, monotone en Russie, triste en Angleterre et lourd en Allemagne.

À vrai dire, on ne sait trop d’où vient l’origine du carnaval. Il doit remonter de très loin puisque l’on conjecture et avec une apparence de raison qu’il est un reste, une émanation de saturnales du paganisme.

Le fait est qu’aucun peuple primitif ou civilisé n’a été exempt de ces fêtes carnavalesques.

D’aucuns prétendent même qu’elles remontent au berceau du genre humain, puisque dans les bacchanales d’antan les prêtresses du dieu du vin invoquaient notre mère commune Eve, en criant : Eva! Eva !

Qu’est-ce que l’on ne met pas sur le dos de la femme, je vous le demande.

Françoise.

 

La photographie non attribuée d’une «vue rapprochée d’un donjon de glace», en plein cœur de Place-Royale, à Québec, au carnaval de 1896, provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection initiale, Photographies, cote : P600, S6, D1, P827.

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