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Foutue grippe

Le 5 janvier 1892, dans La Patrie, celle qui signe Françoise y va de sa «Chronique du lundi».

J’ai la grippe,
Tu as la grippe,
Il ou elle a la grippe,
Nous avons la grippe,
Vous avez la grippe,
Ils ou elles ont la grippe.

Voilà un verbe que chacun apprendra à conjuguer cet hiver, à ses dépens; les uns d’une manière active, cherchant à se rebeller contre le mal et à se débarrasser de son joug, les autres souffrant d’une manière passive dans toute l’acception du mot, pliant le dos sous la force du mal et se laissant prendre en grippe tout à l’aise.

Tout le monde l’a eue ou tout le monde est sur le point de l’avoir. Vous n’entendez que cela; c’est le solo, c’est le refrain, c’est le chorus de toutes les conversations.

La vilaine maladie qui vous fait souffrir, vous saisit à la gorge, vous martelle le cerveau, vous casse bras et jambes, vous fait tousser, moucher, cracher et — la traîtresse ! — peut vous envoyer ad patres, sans que vous ayez tant seulement le temps de regarder autour de vous.

Avec cela, républicaine en diable. Avez-vous remarqué comme elle s’attaque aux têtes couronnées avec l’acharnement des égalitaires de têtes de 93.

Elle a toute une histoire, Madame Grippe et sans avoir découvert le nom du docteur qui l’a inventée, ce n’est pas une parvenue, je vous prie de le croire, puisqu’on peut commencer son arbre généalogique depuis le neuvième siècle, et l’histoire nous apprend que lorsqu’elle fait son apparition sa visite ne dure pas moins de trois ou quatre ans, puis elle disparaît pendant une période de plus de vingt ans.

Tout bien calculé, nous serions, Dieu merci, pas bien éloignés du jour de son départ et bon voyage ! Au plaisir de ne jamais se revoir.

Quoiqu’on en dise, on n’a pas encore trouvé de remède spécial contre la grippe et elle restera toujours une énigme pour la docte Faculté de médecine, même tous ces beaux antidotes tant vantés, comme l’anti-pyrine et l’anti-fébrine, sont, paraît-il, excessivement contraires à la maladie. On recommande plutôt, surtout dans les cas d’influenza pneumonique, quelques stimulants comme la digitale, le vin et le cognac… remèdes qui sont loin d’être désagréables, après tout, du moins pour quelques personnes.

Est-ce que cela vous intéresse de savoir comment il y a de sortes de grippe ?

Eh bien ! il y en a trois : la nerveuse, la gastrite et la grippe catarrhale.

Il n’y a rien comme d’être saisi par les trois branches à la fois pour en saisir promptement les différentes nuances.

Bien c’est assez diagnostiquer sur l’épidémie. J’en ai même donné assez pour en donner envie à ceux qui ne l’ont pas encore eue. Avez-vous remarqué qu’en lisant les diagnostiques de maladies quelconque, quand vous fermez le livre, vous vous croyez, à coup sûr, avec la moitié de tous les symptômes que l’on y a décrits.

 

Françoise est le pseudonyme de Robertine Barry, la première femme journaliste québécoise.

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