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La crédulité

Dans le quotidien montréalais La Patrie du 5 octobre 1891, Françoise [Robertine Barry], la première femme journaliste québécoise, qui y tient chronique, déplore la naïveté de certaines populations québécoises.

Au Canada, où la foi est encore dans sa primitive ardeur, on  professe, et avec raison, la plus grande vénération pour le culte des reliques. On ne saurait trop se féliciter de ce respect religieux dont on entoure les dépouilles mortelles des serviteurs de Dieu. On devrait, par exemple, savoir borner sa dévotion et ne dépenser sa ferveur que sur les reliques autorisées par l’Église.

Les colporteurs de campagne exploitaient autrefois la crédulité des gens d’une manière indigne, et vendaient, à prix d’argent, de prétendues reliques dont ils étaient seuls à garantir l’authenticité. Il y a déjà trois ans, dans les paroisses du bas du fleuve, un de ces marchands ambulants répandit la nouvelle que l’on devait faire ciseler en Terre Sainte une châsse spéciale destinée à recevoir le morceau de chair enlevé à l’Enfant-Jésus dans la Circoncision. Tous les fidèles, contribuant à la construction de cette châsse, par l’offrande de bijoux, devaient avoir part à des indulgences sans nombre, ainsi qu’aux privilèges les plus insignes.

Toutes, femmes et fillettes, se dépouillèrent, qui de leurs broches, qui de leurs pendants d’oreilles, et sacrifièrent, de grand cœur, leurs plus beaux ornements entre les mains de cet imposteur.

On ne sait trop jusqu’à quel chiffre se serait élevé les recettes de ce voleur mystificateur, si les curés de village, du haut de la chaire, n’avaient prévenu leurs trop crédules ouailles et défendu sévèrement de se prêter à ces manœuvres sacrilèges.

C’était de la même provenance que cette plume échappée à l’aile de l’ange Gabriel, quand il vint annoncer à la Ste Vierge qu’elle serait la mère de Dieu. Une bonne vieille, qui m’en parlait avec attendrissement, s’indignait de l’incrédulité de quelques personnes :

— Ces sans-religions-là, ajouta-t-elle, qui ne veulent pas croire que ce soit une plume de l’ange Gabriel !

— Elles croient plutôt que c’est d’un canard ? ai-je demandé.

Mais la vieille ne comprit pas.

J’ai aussi entendu parler, mais je ne l’ai pas vue, d’une bouteille renfermant le «Han» que faisait St Joseph lorsqu’il fendait du bois.

Qu’elle est donc naïve la foi de nos campagnards !

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