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François Villon (seconde de trois parties)

Hier, je disais le plaisir de retrouver le 27 juin 1903 dans un journal québécois, L’Album universel, un hebdomadaire montréalais, un long texte sur François Villon signé J.-N. Blanchet et intitulé François Villon. Sa vie et ses œuvres. Voici la seconde partie de ce texte.

C’est vers la fin de janvier 1456 que François Villon faisait son apparition à Paris, affilié à une bande de malfaiteurs. Il n’y resta pas longtemps; dix mois plus tard, Villon repartait brusquement et se dirigeait sur Augers, après avoir envoyé à tous ses amis un adieu sous la forme d’un poème, que l’on désigne maintenant sous le nom de «Petit Testament», dans lequel il leur apprend que des chagrins d’amour le forçaient de quitter Paris. Mais, un an plus tard environ, à en croire Pierre Marchand, un des amis de Villon, Guy Tatarie fut arrêté sous l’accusation d’avoir participé à un vol au collège de Navarre, vol qui avait eu lieu quelques jours avant le dernier départ précipité de Villon. Amené devant la Cour, Tatarie fit des aveux complets dans lesquels il déclara que François Villon faisait partie de la bande qui avait commis ce crime. Il semblerait donc, d’après ces déclarations, que le départ de Villon ne fut pas motivé par des chagrins d’amour; mais, au contraire, que la cause de ce voyage était de nature plus prosaïque, ou, pour parler franchement, de nature criminelle.

Ce qu’il fit et où il alla pendant les cinq années suivantes, on n’en sait rien, sauf qu’il dut être à Saint-Généroux ou non loin de là, dans quelque localité de cette région; c’est là sans doute où il aurait connu les deux dames qui lui apprirent le langage poitevin, et dont il parle dans le quatre-vingt-treizième huitain du «Grand Testament». C’est aussi vers cette époque qu’eut lieu à Blois, à la cour du duc Charles d’Orléans, le concours poétique auquel Villon a certainement pris part, si l’on en juge par la «Ballade» qui commence par :

Je meurs de seuf au près de la fontaine,

ligne sur laquelle chaque concurrent devait composer son poème ou sa ballade.

Certaines allusions que l’on rencontre dans le «Grand Testament» sembleraient faire croire que Villon ait, après ce concours, parcouru le pays le long de la Loire, qu’il soit allé au Dauphiné, et revenu dans l’Orléanais, où on le trouve en 1461 prisonnier de l’évêque d’Orléans. Pourquoi et sous quelle accusation ? On n’en sait rien. Probablement quelque vol commis dans les environs de Meung-sur-Loire, où il était emprisonné.

À en juger par les diverses allusions qui s’y rapportent, la captivité de Villon était fort rigoureuse; mais la mort de Charles VII, en 1461, et l’avènement de Louis XI sur le trône lui valurent sa grâce et sa liberté. Les rois avaient alors la coutume, lorsqu’ils montaient sur le trône, d’accorder des lettres de grâce à un certain nombre de prisonniers détenus dans les villes où ils passaient après leur sacre; et François Villon fut assez heureux pour être un de ceux qui furent libérés de la prison de Meung.

C’est alors qu’il composa son chef-d’œuvre, le «Grand Testament», qui, seul, suffit pour le placer au premier rang des poètes de son temps. Depuis cette date, 1461, jusqu’à sa mort, on ne sait rien de précis sur sa vie; on ignore s’il mourut à Paris ou ailleurs, et en quelle année. M. Campaux, se fondant sur le Dialogue de Mallejaye et de Baillevent»» et sur le «Monologue du Franc-archer de Bagnolet», place la mort de ce célèbre poète après 1480; mais M. Auguste Lougnon soutient que Villon n’écrivit jamais ces poésies-là, et qu’ainsi on ne peut pas se fier à la déclaration de M. Campaux.

La vie de François Villon peut donc se résumer en très peu de mots. Pauvre, humble et malheureux dès sa naissance, il n’essaya jamais d’améliorer ses conditions; au contraire, se laissant aller au gré des circonstances, il s’enfonça de plus en plus dans l’abîme de la corruption et du péché, et tout espoir de relèvement moral fut à jamais perdu pour lui. Mais ses fautes, ses crimes même, s’il en a commis, ne doivent pas nous faire nier son génie, et Villon est incontestablement un poète qui doit être placé au premier rang, non seulement des poètes de son temps, mais de ceux de tous les temps et de tous les lieux.

Passons en revue les œuvres qu’il nous a laissées. Le «Grand Testament» est de beaucoup le meilleur poème; ensuite vient le «Petit Testament» — écrit longtemps avant le Grand — puis le «Codicille», les «Poésies Diverses», et, en dernier lieu, le «Jargon de Jobelin». Il a écrit aussi quelques autres poésies qui, malheureusement, ne nous sont pas parvenues. La plus importante d’entre elles, peut-être, parce qu’elle nous donnerait une idée du genre de vie de Villon dans sa jeunesse, des mœurs et des troubles des écoliers, et parce qu’elle nous ferait connaître les aptitudes et les dons naturels du jeune Villon, la plus importante, disons-nous, est le «Rommant du Pet au Deable», qu’il mentionne dans son «Grand Testament». Ensuite viennent les «Repues Franches», qui n’ont certainement pas la valeur que l’on accorde au «Rommant du Pet au Deable», quoique l’on ne la connaisse pas. Comme nous avons déjà donné quelques explications sur la nature de ces différents ouvrages, passons immédiatement à deux questions : quelles sont les qualités de Villon révélées par la lecture de son œuvre qui puissent quelque peu racheter ses défauts et ses vices ? Et quelles sont les principales qualités, ou plutôt, quelle est la qualité principale de ses œuvres complètes elles-mêmes ?

D’abord, nous croyons trouver dans les œuvres de Villon quatre bons sentiments dont sans doute Dieu lui aura tenu compte : la foi religieuse, le patriotisme, la reconnaissance et l’amour filial. Ces quatre sentiments se présentent à tout instant à l’esprit du lecteur, comme pour lui faire sentir que l’homme qui les a exprimées n’est pas aussi vil, aussi dégradé qu’il ne le paraît dans les anecdotes de sa vie.

Nous voyons le patriotisme vrai et solide de l’homme dans les deux vers sur

Jehanne, la bonne Lorraine
Qu’Englois brûlèrent à Rouan;

et nous en avons encore un témoignage indubitable dans la ballade qui anathémise ceux

Qui mal voudraient au royaume de France.

 

Suite et fin : demain.

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