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Étrange rite funéraire québécois

Le poète et écrivain Louis-Honoré Fréchette (1839-1908), dans un  article — L’art à la maison —, tient ce propos dans le journal Le Trifluvien du 11 mars 1891.

Dans un de mes précédents articles sur l’ornementation des salons, je signalais ce goût bizarre qu’ont certaines personnes d’étaler sous les yeux de leurs visiteurs mille objets plus ou moins macabres, souvenirs pieux mais peu réjouissants.

Hélas ! j’étais loin de sonder toute la profondeur de la plaie.

Des lettres que j’ai reçues sur le sujet m’ont renversé ni plus ni moins.

Et le pis, c’est qu’il n’y a pas moyen de soupçonner la moindre plaisanterie. Gageure ou non, la chose est sérieuse.

Je parlais d’ex-voto, de pierres tombales, d’urnes cinéraires, la belle affaire !

Figurez-vous que dans certaines localités du pays — pas à Montréal, merci, mon Dieu ! — on a l’habitude, quand on enterre un parent, de divisser [sic] les poignées du cercueil, avant de descendre celui-ci dans la fosse.

Et savez-vous ce qu’on fait de ces poignées de cercueil ?

On en fait des ornements de salon !

On les suspend aux quatre coins de la pièce, avec des boucles de crêpe, des couronnes d’immortelles, etc.

Il est des familles affligées qui en ont comme cela toute une collection.

On les superpose les unes aux autres, par ordre de décès; des petites, des grandes, — les plus belles en vedette.

On m’indique une veuve — que je pourrais nommer — qui conserve ainsi les poignées de trois maris.

À quatre poignées par mari, cela fait douze poignées de maris dans les coins.

Pauvre femme !

Ma parole, il est des modes qui finiront par provoquer des études psychiques. Il y aura des médecins spécialistes pour soigner ces aberrations-là.

Je suis bien de l’avis de ceux qui croient les Canadiens infiniment supérieurs à tous les autres peuples; il faut bien se rendre à l’évidence; mais je ne les aurais jamais crus capable d’atteindre à un tel sublime.

Voyons, mes chers compatriotes, n’allons pas nous perdre dans ces hauteurs vertigineuses; nous deviendrons tellement excentriques que nous finirions par nous mettre à graviter autour de notre planète.

Et, comme nous ne sommes pas des astres, après tout, la position serait anormale.

Laissons «les coups de vents à la mer, le brin d’herbe aux chevreaux», les poignées aux cercueils.

On ne peut raisonnablement entretenir le désir de les voir servir à nouveau; et, comme ornement, ça n’est pas réussi.

J’en sais d’une gaieté plus exubérante, d’un aspect plus rigolo.

 

La photographie de Louis Fréchette en 1900, provenant de Bibliothèque et Archives nationales du Canada, apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.

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