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Charlie et Boris Vian

En 1976, après l’achat de ma maison de campagne, nous vivions là quatre adultes et deux enfants : mon ex-épouse, un de mes frères, un ami et moi-même, avec mes deux enfants. Vous saurez tout sur les débuts de l’histoire de ce lieu dans le texte de présentation de mon ouvrage Un citadin à la campagne, Quatre saisons à Sainte-Anastasie.

Or, nous avions aussi deux chats, Charlie et Quéquette, qui vivaient dans la grange et autour de la maison. Un jour, Charlie semblait vraiment disparu, ne se présentant plus pour manger. Après trois jours, nous l’avons retrouvé, miaulant faiblement, dans le foin, dans la grange, mais incapable de bouger. Il s’était sans doute fracturé le bassin, en tombant d’une haute poutre dans une pile de bois, et s’était traîné vers un lit de paille.

Nous allions lui porter sa nourriture quotidiennement. Finalement, après quelques semaines, il était réapparu à l’extérieur de la grange, à notre très grande surprise, le voyant de la fenêtre au-dessus de l’évier, marchant d’abord bas sur pattes, avant, finalement, de bien re-marcher comme tout chat normal. Il s’était complètement guéri lui-même.

Et puis lui et Quéquette sont disparus, on ne sait trop comment, ayant pris la clef des champs.

Or, aujourd’hui, voilà qu’il me réapparaît, sortant de la grange, tout à fait identique à lui-même.

Je l’ai bien appelé et appelé; il ne fuyait pas, mais avait du mal à me reconnaître à distance après 36 ans. Il semblait étonné de voir combien j’avais vieilli et me regardait comme un inconnu. J’ai quand même pu faire quelque pas vers lui sans qu’il ne parte, lui parlant doucement, pour pouvoir le photographier.

J’étais fort heureux de le revoir après tant d’années. Lui n’avait absolument pas vieilli !

Et comme, chaque printemps, je m’assure d’avoir de la nourriture pour chat au cas où un de ces félins se présenterait, l’estomac dans les talons, j’ai pu lui laisser une assiettée sur le plancher de la batterie. Voyons maintenant s’il mangera.

* * * * *

Par ailleurs, il me faut vous dire que je suis amateur de casse-têtes à plusieurs centaines de morceaux [les Français utilisent le mot anglais puzzle pour désigner la chose]. Je dois bien en avoir 40 ou 50.

Or, à un autre moment, aujourd’hui, je marchais sur le terrain, regardant au sol s’il y avait matière à photographier : un insecte, une fleur, une feuille unique.

Soudain, que vois-je ? Incroyable. Une pièce de casse-tête, qui manifestement, il me semble bien, nous donne à voir un Boris Vian souriant.  J’aime beaucoup cet écrivain français, poète, chanteur, décédé fort jeune, j’ai même un de ses disques et son beau livre L’Écume des jours, mais jamais au grand jamais je n’ai eu de casse-tête où il apparaissait. Et la pièce était un brin décollée de son carton de base, signe qu’elle avait traversé tous les temps.

Arrivée comment alors ? Par le vent d’ouest. Je ne vois pas comment sinon. Habitant dans un couloir de vent où toute végétation fut rasée autour de moi, à l’ouest comme à l’est, je reçois venant d’ailleurs des plumes de poules, des feuilles d’arbre bien sûr, des pièces de plastique, de petits ballons pour enfant dégonflés, etc. Mais Boris Vian, là, sous la forme d’une pièce de casse-tête, assez incroyable. Non, mais qu’est-ce que Vian vient faire dans ma campagne profonde ? Et par quel vent fut-il porté ?

Croyez-vous au hasard ? Moi, non. Carl Jung, Arthur Kœstler ont travaillé sur les racines de ce qu’on appelle hasard. Un jour, je ne sais quand, je ne sais où, nous apparaîtront des liens sur lesquels nous n’avons pas de prise en ce moment et qui nous rendront béats. Comme s’il y avait quelque part, dans la marge, dans les interstices, dans les fêlures, une vie, un déroulement des choses qui a ses lois propres, sans «poignée» de notre part, pour l’instant, et hors de ce que nous croyons être en ce moment l’entièreté du monde.

Charlie et Boris aujourd’hui m’ont jeté par terre.

11 commentaires Publier un commentaire
  1. Denis Bastien #

    Agréable à lire.
    Vous m`avez fait sourire plus d`une fois.
    Bel automne Mr. Provencher.

    15 septembre 2012
  2. Jean Provencher #

    Joyeuse saison à vous, monsieur Bastien.

    16 septembre 2012
  3. Danielle Foucart #

    Étonnant en effet! je suis curieuse de voir la suite des choses.

    Danielle

    17 septembre 2012
  4. Jean Provencher #

    Tiens, tiens, tiens, vous vous intéressez donc, belle audacieuse, à la synchronicité. Cela me plaît beaucoup. Tant de gens vivent au premier degré, sans même porter attention à ces faits étonnants qui surviennent et que nous accompagnons alors de l’expression « Ah ? Quel hasard. »

    Mais rien de plus par la suite, nous retournons dans nos vies ordinaires.

    Alors qu’il y a là des manifestations, qui déstabilisent assurément, qui peuvent même faire peur à qui craint les glaces minces, mais qui sont des portes, des ouvertures, des fenêtres à mon avis vers un enrichissement, une densification de la vie. Vers plus de bonheur même, j’en suis certain.

    Faudrait se mettre ensemble, diable, pour y réfléchir.

    Hé, merci beaucoup, chère Danielle, de votre mot.

    Une référence : cette page Wikipédia.

    Il y a aussi la troisième heure de Par Quatre Chemins, l’émission de Jacques Languirand du 5 décembre 2009 à la radio de Radio-Canada sur Arthur Kœstler et son livre Les Racines du hasard.

    17 septembre 2012
  5. Josée Laurence #

    Je suis heureuse de trouver une âme intelligente qui aime aussi les casse-têtes. J’y perds mon temps, trop rarement, en écoutant la radio et en grignottant quelconques crudités.
    Les hasards, ils troublent parfois pendant quelque temps… et on se sent en vie.
    Merci.

    4 octobre 2012
  6. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, chère Josée, chère complice casse-têtienne.
    En effet, les « hasards », ça déstablise !

    4 octobre 2012
  7. Manon-Maude #

    Vos mots font sourires nos maux.

    Merci

    5 novembre 2012
  8. Jean Provencher #

    Ah bon !!! Votre belle phrase, chère Vous, me fait penser au titre d’un vinyle de Claude Péloquin durant les années 1970. C’était, je crois, «Laissez-nous vous embrasser où vous avez mal». Si mes mots sont des baisers-sourires où vous avez mal, cela me plaît grandement.

    5 novembre 2012
  9. Daniel J. Gagnon #

    Bonjour et merci Jean.
    Les chats meurent-ils vraiment? Dans la haute-antiquité ils ont été momifiés pour suivre les pharaons dans leur vie éternelle, les guider vers des chemins qu’ils sont les seuls à connaître et qui sait, peut-être emprunter les minces anfractuosités qui séparent le réel de l’au-delà. Ces félidés gracieux, légers presque aériens n’ont-ils pas dans leurs regards tous les frissons qui hantent l’homme depuis la nuit des temps. Ses compagnons austères déambulent comme si tous les lieux de l’homme étaient des couloirs de monastère où les seuls bruissements étaient les chants grégoriens dans la chapelle voisine. Ils voyagent dans des ailleurs où nous ne pouvons aller et quelquefois en ramène l’image découpée et surannée d’un jazzman trop tôt décédé.
    Amitiés Daniel J.

    3 juin 2015
  10. Jean Provencher #

    Merci infiniment, cher Daniel. À moi qui aime tant les chats, sache que ton texte me plaît tant. Mon bien vieux Charlie me ramenait après 36 ans à ce cher Boris à travers un simple morceau de casse-tête, en noir et blanc de surcroît. Rencontre de trois de mes passions : le chat, le casse-tête et Boris. Sans compter que j’aime tellement le grégorien, il n’y a rien de plus apaisant. Merci, cher ami, merci. N’est-ce pas, voilà, une manifestation de la synchronicité.

    3 juin 2015

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