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Cuisiner avec des fleurs

Dans l’Album universel du 13 septembre 1902, un chroniqueur, qui signe simplement Entre Nous, déplore que les fleurs ne soient guère utilisées en cuisine. Une exposition florale à l’hôtel Windsor, à Montréal, le mène à cette réflexion.

Les grands journaux, malgré les plus amples descriptions, ne nous ont pas tout dit sur l’exposition de fleurs tenue, la semaine dernière, dans la salle du Windsor. Ébloui du parterre émaillé que nous offrait le vaste appartement, je m’étais permis de dire à mon compagnon : « Il faut savoir apprécier les fleurs, pour mieux comprendre la fécondité infinie du Créateur. On ne cultive pas assez le goût des fleurs dans ce pays ».

— Le goût des fleurs ! s’écrie mon ami, porté ce jour-là à la gouaillerie. Mais les fleurs n’ont pas de goût.

— Mon vieux, je te prends au mot, et je vais te faire comprendre comme ton mauvais jeu de mots porte à faux, et quelle variété infinie, quelles sources il y a dans la nature. Les fleurs ont du goût, se mangent et finiront par faire des plats délicats. C’est une des branches négligées de la cuisine, voilà tout.

Y a-t-il dans les sauces une pointe plus délicieusement piquante que celle donnée par la fleur de la capucine ? Le clou de girofle n’est que la fleur d’un myrte coupée avant l’éclosion. On met du safran dans bien des plats. La fleur distillée de l’abricot donne une boisson très délicate, connue sous le nom d’«eau de créole». L’eau de fleur d’oranger est indispensable à la pharmacopée française.

Izaak Walton a inventé une friture, restée célèbre, d’«alevins aux fleurs». Je te dirai même comment on la fait. On roule d’abord la menuaille de poissons dans le sel, puis on les confie au feu dans un mélange de jaunes d’œufs, de primevères et de tanaisie baumière, ou coq des jardins. C’est exquis.

Il n’y a rien de plus à la mode, aujourd’hui, qu’une salade de chrysanthèmes à la crème. Les pétales de violette roulés dans le sucre Candi fondu sont le dernier mot du bonbon. La fleur du Mahwa, arbre des Indes, est un bonbon tout préparé, goûtant la figue, soit qu’on la mange fraîche ou séchée. Un indigène qui possède un seul de ces arbres peut en nourrir une famille de cinq toute une année, car il y coupe jusqu’à 23 quintaux de fleurs.

En Chine, on apprête le porc avec une sauce aux lys. Ces fleurs de lys séchées y sont la source d’un commerce considérable. On fait bouillir l’immortelle, qui est servie comme légume. On y fait aussi des confitures avec le calice gélatiné du cotonnier.

Dans le Nouvelle-Zélande, on recueille le pollen des fleurs pour en faire un gâteau qui s’appelle : «pain de l’abeille». Le chou-fleur porterait un nom bien mensonger, si ce n’était pas une fleur. L’artichaut en est une autre.

Bref, on a tort de ne pas faire plus d’expériences culinaires avec la flore de nos jardins. Ce qu’une marmelade de roses sur le menu d’un millionnaire ferait venir d’eau à la bouche ! Une tymbale aux pensées serait le dessert obligatoire de tout dîner à discours.

Quel sujet de conversation pour la jeunesse entre un aspic de forget me not, une bouchée d’amourettes des prés, une galantine de roses mariées ! On passerait les boules-de-neige aux vieux garçons, les crêtes de coq aux prétentieux, les gueules de loup aux gloutons, les pieds de veau aux lourdauds, les pavots aux raseurs, les soucis aux candidats électoraux.

Quel est le cuisinier capable de sauver la belle conversation des dîners qui semble vouloir s’en aller ?

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