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Les pique-niques (première partie)

C’est l’été. Pourquoi pas un pique-nique ? Dans l’Album universel du 1er juillet 1905, celle qui signe simplement «Jacqueline» nous y invite.

Voici venue la saison des joyeuses parties de campagnes, des pique-niques, des goûter sur l’herbe, où jeunes et vieux s’en donnent à cœur joie, parmi la belle nature en fête, les gais oiseaux, les arbres où chantent les brises, la mousse soyeuse et tiède, parfois fleurie…

Et les petits de gambader, grisés de vie et de gaieté; et la jeunesse de chercher inconsciemment les sentes ombreuses le long desquelles viennent, on ne sait comment, les mots d’amour à l’oreille murmurés dans un besoin de vie, d’ardeur et d’adoration inlassable. Et la vieillesse de se rappeler, avec un attendrissement qui n’a plus rien d’amer dans sa mélancolie, les printemps envolés si nombreux, et qui furent si pleins de promesse non tenues, de mensonges follement aimés quand même.

Tous sont heureux d’un bonheur différent, exhubérant pour les uns, pénétrant et doux pour d’autres, et pour les vieux, mélancolique et précieux comme les choses qui doivent bientôt finir.

Quand on n’a pas le loisir de villégiature tout un été et que, seules, les bonnes promenades aux alentours de la ville donnent le soleil et l’air pur, on les veut aussi longues et aussi fréquentes que possible, ces promenades; on part dès le matin pour ne pas perdre une des chères journées de liberté. Si on est vraiment pratique, désireux de s’amuser, de se reposer tout à l’aise, on s’habillera simplement de vêtements ne redoutant pas la poussière, une ondée ou les taches d’herbe… Car on s’assoiera sur l’herbe, on fera la dinette, et probablement de très grand appétit.

Indépendamment de l’amusement qu’il y a à camper ainsi et à organiser un repas champêtre, il faut considérer le bien immense que retirent de ces parties de campagnes les petits enfants, pour qui la grande ville est parfois si cruelle, et qui s’étiolent si facilement, si fragilement dans les logis d’ouvriers, où le plus souvent, de par les dures lois de la vie, sont confinées les familles les plus nombreuses.

La mer, les bois, les montagnes passent et repassent, évoquées dans les causeries, au terme de l’année laborieuse. Grands et petits, jeunes et vieux, ont le teint pâli que leur donnent, avec la chaleur précoce de l’atmosphère enfiévrée de la ville, les longs mois pleins de soucis et de préoccupations. Ne niez pas : ils connaissent les soucis, les pauvres écoliers penchés sur les cahiers et les livres. « Oh ! la leçon qui n’est pas sue ! »Dès le mois de mai, les vacances salutaires sont appelées. D’elles, on dirait volontiers avec le poète antique : « les chères heures les plus lentes des bienheureuses, malgré cela désirées, viennent toujours, apportant quelques chose aux mortels…»

À notre époque, en nos villes, les heures dont le défilé paraissait lent aux cités ensoleillées de jadis, ont le pied rapide et la marche légère; il faut donc nous presser si nous voulons, avant le départ, causer un peu de ces vacances.

À beaucoup d’entre nous, elles apportent une joie. Nous habitons les villes, mais nous sentons que la campagne est le véritable décor de la vie humaine. Les villes, il est vrai, possèdent des beautés d’ombres et d’eau : Montréal sa sa montagne, Québec a dans ses environs des sites enchanteurs. N’importe ! il y a trop de mouvement factice aux alentours de l’une et des autres. Puis, les beaux ombrages, les claires ondes donneront quelquefois une sorte de luxe dont tous ne peuvent jouir.

Dans les quartiers les plus sombres, se trouvent des petits écoliers pâlots, qui n’obtiennent de révélations sur l’au-delà des rues que celles qu’ils reçoivent d’un pot de fleurs étiolées, d’une mince bande de ciel déchiqueté par les toits, d’un ruisseau boueux dans lequel on se plaît à barbotter. […] Tout ce merveilleux décor de flots et de montagnes, de bois et de plaines, d’azur et d’étoiles, que Dieu fit pour les hommes, leur demeure inconnu. […]

Il est bon de mettre une poésie dans les souvenirs d’enfant. S’il éprouve la chaleur du midi, le voyageur se souvient avec délices de la gorgée d’eau claire, puisée au creux de la main, à quelque source matinale. C’est tout un aliment de douceur pour les pensées futures que nous procurons aux petits en leur donnant autant que nous le pouvons d’heures de campagnes heureuses de l’été.

La chose est facile; voici comment on organise un pique-nique de famille. Évidemment, on peut modifier ce plan à son gré, mais nous croyons que ces indications seront précieuses à plusieurs, et qu’elles seront, de plus, faciles à suivre.

D’abord, il vaut mieux emporter de chez soi tout de qui est nécessaire pour le repas familial, que de l’acheter ou le louer dans les établissements particuliers.

Nous conseillons de faire l’acquisition d’un panier d’osier solide, de forme mi-plate ou carrée. Pour cinquante à soixante-quinze centins, on a un panier de ce genre, très suffisant, et qui ne sera pas une inutilité dans le ménage; en toutes saisons, en toutes circonstances, il peut servir. Puis on se procurera des assiettes de petite dimension, en faïence fleurie, cinq cents chaque, au plus, ou des assiettes émaillées blanches avec un filet bleu; elles sont un peu plus coûteuses, mais incassables; des couverts, des gobelets en aluminium, très légers, à emporter et inusables. […]

Nous prendrons également de petites serviettes japonaises, ou mieux, des serviettes en toile bise, et un grand napperon de même toile. Voici pour notre couvert. Libre à nous de le joncher sur place, de fleurs champêtres, de feuillages ou de mousse.

 

La suite de ce texte sera là demain : le repas.

Sur l’image, nous sommes à Saint-Raymond de Portneuf au camp en bois rond de mon arrière-grand-père maternel Jos Parent en 1936. On se prépare à pique-niquer. Ce sont là toutes des personnes de la famille de ma mère. Jos, pipe à la main, est le beau-père de ma grand-mère, en bleue, Valéda Martel, qui tient le bras d’Arthur Paquet. Ces gens sont les miens.

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