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La colonie chinoise de Montréal (première partie)

Dès qu’un journal nous offre un article sur nos Chinois au début du 20e siècle, je l’attrape, le mets en banque, en vue d’une parution sur mon site. J’aime les Chinois et la connaissance que nous avons de leur histoire est d’une pauvreté navrante.Si, vous inscrivez le descripteur «chinois» dans le moteur de recherche à votre droite sur cette page, vous pourrez tout de suite repérer cinq articles à leur sujet déjà mis en ligne. En voici un sixième paru dans La Patrie du 10 juin 1905.

 

Comme San Francisco et New York, Montréal a son quartier chinois, moins important sans doute que celui des deux grandes villes des États-Unis, mais très intéressant pour l’amateur d’êtres et de choses exotiques. Ce quartier s’étend dans la rue Lagauchetière, entre les rues Saint-Urbain et Saint-Charles-Borromée.

Là, les sujets du Céleste Empire sont entassés dans une douzaine de vieilles maisons dont le peintre et le blanchisseur ne se sont point approchés depuis nombre d’années et que l’on semble vouloir laisser tomber en ruines. Aux fenêtres antiques tapissées de toiles d’araignées et d’une épaisse couche de poussière faisant l’office de rideaux, beaucoup de vitres manquent. À leur place, on a collé des feuilles de papier jaune ou rouge, ou cloué des planches.

Dans ces maisons, on trouve deux ou trois restaurants dont la spécialité est le traditionnel «chop suey», et deux magasins remplis d’étranges produits alimentaires qui dégagent des odeurs «sui generis».

Voici de longues tiges ressemblant à de grosses algues marines desséchées et sentant la morue salée; là sont rangés une multitude pots de grès contenant une poudre brunâtre, comme du tabac à priser, puis des jarres de verre renfermant des fruits secs ou confits, des amandes, etc.

Nous avons visité, l’autre jour, ces magasins en compagnie de deux imposants détectives devant lesquels les pauvres Chinois, tremblant encore au souvenir de quelques récentes descentes de police dans les fumeries d’opium du quartier, sont restés médusés.

L’installation des restaurants est tout à fait sommaire : des tables de bois blanc, des chaises sur le plancher nu; aux murs tendus de papier à cinq sous le rouleau quelques chromos accrochés. Et c’est tout.

Dans ces restaurants, se réunissaient, il y a peu de temps, maint personnages des deux sexes de réputation plutôt douteuse, pour y savourer le «chop suey», pour y tramer de noirs complots ou s’y dire de tendres choses. Mais les apparitions intempestives de nos policiers et quelques arrestations leur ont fait choisir d’autres lieux de rendez-vous.

Le temple chinois occupe une grande chambre d’un restaurant, au premier étage d’une maison sise au coin des rues Saint-Urbain et Lagauchetière. Un charmant fils du ciel, M. Lee — tous les Chinois semblent s’appeler Lee — nous a permis de le visiter.

Nous y avons contemplé, perdu au milieu de riches ornements d’or, d’argent et de soie artistement travaillés, un dieu à longues moustaches pendantes, accroupi et bedonnant sur un autel.

Le chambre, assez bien entretenue, ne contient aucun siège; ses cloisons sont tapissées de papier peint et d’affiches écarlates en langue chinoise.

Mais notre visite a été courte, car nous ne voulons pas troubler le repos et la quiétude du dieu, et nous étions impatient de voir une de ces fumeries d’opium dont les journaux avaient tant parlé.

 

Il faut savoir que beaucoup de Chinois venus en Amérique ont apporté avec eux la coutume de fumer de l’opium. Le gouvernement canadien respecte cette tradition chez les Chinois d’origine, mais défend la consommation d’opium chez les Canadiens. Aussi, dans les villes canadiennes, les policiers ont les fumeries d’opium à l’œil. Et, dès que la rumeur veut que des Canadiens fréquentent ces lieux, il y a descente de police.

Cela dit, j’ai en banque un certain nombre d’écrits de journalistes québécois sur nos Chinois au début du 20e siècle. Et toujours on arrive à déceler que leur discours n’est pas «franc» au sujet de ces personnes du Céleste Empire. On se méfie, on laisse entendre des choses, on s’acharne à nourrir ce qui ne tient souvent que de l’impression. Manifestement, c’est certain, la différence fascine, mais effraie. Et on est porté à prêter à des êtres mal connus des traits, des comportements qui n’ont pas nécessairement d’assises, qui tiennent de la fausseté. Il faut que cela soit dit.

Cet article sur la colonie chinoise de Montréal se poursuit demain.

Cette gravure apparaît en première page de La Patrie du 10 juin 1905.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Martine Freedman #

    Merci Jean pour ces chroniques quotidiennes. Nos attitudes vis-à-vis de l’Autre, que tu soulignes en fin de chronique, sont toujours d’actualité me semble-t-il.

    19 juin 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, chère Martine. Je le pense, en effet.

    19 juin 2012

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